Risibles orgasmes : c'est une manière de résumer cet étonnant Lala pipo dont le titre, expliqué dans le récit, se révélera aussi mystérieux pour le lecteur japonais que français. Hideo Okuda est né en 1959 au Japon où sa trilogie du docteur Irabu (dont Wombat a traduit deux volumes et dont ne fait pas partie ce roman-ci) a été vendue à trois millions d'exemplaires. Chacun des six chapitres de Lala pipo a un titre anglais qui est celui d'un succès musical et chacun met en scène un antihéros aux prises avec sa vie sexuelle. Les six aventures s'enchevêtrent selon un point de vue différent avec plus de talent et de plaisir pour le lecteur que ne le font les corps pour les personnages. Tous sont si solitaires que rien ne leur est acquis. La vie fantasmatique du jeune homme autour de qui est centré le premier chapitre bascule quand il veut entendre de plus près divers gémissements provenant de l'appartement du dessus (où on comprendra pourtant que tout n'est pas si rose), et il va se coller au plafond curieusement outillé pour être plus proche du sujet de son plaisir. «Avec la tête penchée à quatre-vingt-dix degrés pour écouter au verre, il eut vite mal au cou et aux épaules ; et aux mollets aussi. Il avait besoin de faire des pauses, assis sur le dossier de la chaise. Il ôta complètement son slip et son pantalon, c'était tout de même plus prudent./ Ça y est, les grincements avaient commencé là-haut./ Gniii…Gniii… Gniii…/ On entendait surtout le lit, c'était rageant.» Au moment suprême, il va tomber de son échafaudage, mais ne se blesse pas.
«Le vase secret de Kyôko commença à s'échauffer. Non, pas ça, je t'en prie, supplia-t-elle d'une voix mourante. Mais Tatsurô n'arrêta pas le geste de son doigt. Pourquoi m'arrêter, alors que tu es si sensible, lui répondit-il à l'oreille ? Kyôko renchérit : Parce que. Aaah. Nooon. Instantanément, en même temps qu'un gémissement, le liquide d'amour l'inonda. Une tache sombre apparut sur le drap.» Ça, c'est ce que dicte l'écrivain de romans érotiques du cinquième chapitre. C'est moins distingué quand il rencontre dans un club de karaoké de très jeunes filles que son argent échauffe plus que son sexe. Il est énormément question d'argent partout, ainsi que de reconnaissance et d'aspiration à la «littérature pure» pour le pornographe qui a le patriotisme ancré en lui : «- Quel âge as-tu ? demanda-t-il. - Seizeuh ! répondit la fille./ Quelle magnifique croissance ! Quel bonheur de vivre dans un pays qui donnait à manger à leur faim à ses enfants !» Quant à la «femme mature» du troisième chapitre recrutée à la sortie d'un supermarché, ç'a été un «rêve» qu'on lui donne de l'argent pour faire l'amour qu'elle ne faisait plus. «Son premier engagement était arrivé quinze jours plus tard. C'était l'histoire d'une démarcheuse en assurance-vie qui se faisait violer par des paysans dans une porcherie. Comme de toute façon son visage serait flouté au montage, elle s'en était donné à cœur joie, monter à dada sur un cochon, se faire recouvrir de fumier…» Dans la deuxième vidéo, elle se fait violer à la chaîne, dans la quatrième aussi (mais dans un camping), tandis que la troisième «était une vidéo SM». «- Je voudrais bien tourner quelque chose de normal, dans un lit, quoi ! - Je suis désolé. Les vidéos de femmes matures, c'est toujours un peu conceptuel, hein…»
Avec un humour continu, Hideo Okuda raconte un monde sinistre où, en outre, chacun ou presque a honte, sauf les très jeunes filles qui, quand elles ne parviennent pas à vendre leurs culottes usagées au prix souhaité, ne lancent à l'acheteur marchandeur que : «Radin !» La fille du sixième chapitre filme à leur insu ses amants pour la série La grosse aime se faire les rebuts, dont le titre ne l'a pas enchantée d'emblée. Mais ça peut donner des scènes formidables, comme lorsqu'un de ses amants se fait engueuler par sa supérieure - à la grande joie de l'homme qui va commercialiser le produit («Il ne faut pas éprouver de compassion pour le produit» est une phrase prononcée plus tôt à un recruteur désolé du sort de sa recrutée). «Ça mériterait d'être présenté au festival de Cannes ! […] La honte de l'homme, quarantenaire misérable. C'est une scène de drame ! Tous les personnages sont des perdants de la vie. Exactement comme ceux qui achètent ces DVD d'ailleurs, tous des perdants ! Le festival des losers ! Gé-nial ! Je voudrais que le monde entier voie ce film. Je voudrais que tout le monde sache le genre de drame que vivent les perdants de la société, quelque part dans un coin de Tôkyô.»