Fin juillet, Shibumi arrivait en deuxième position dans les meilleures ventes (voir le classement Datalib page 26), juste derrière Harry Potter and the Cursed Child. Le roman de Trevanian (1931-2005) est paru au mois de juin dans la collection de poche de Gallmeister, où «l'ampleur de ce succès» a été une surprise. Le titre, japonais ou supposé tel, désigne un état difficilement accessible : «l'autorité sans la domination», la puissance et la simplicité. Le héros, Nicholaï Hel, réunit ces qualités. C'est «le tueur le mieux payé du monde», retiré dans son château du Pays basque quand le livre, construit comme une partie de jeu de go, commence.
1- S’agit-il d’un polar ou d’un roman d’anticipation ?
Ecrit dans les années 70, Shibumi contient l'ancêtre des ordinateurs. Fat Boy - c'est son nom - engloutit des cartes perforées dont il détermine le code couleur. Il s'emmêle parfois les pinceaux, décrétant par exemple que «Ian Paisley était albanais». La Mother Company en a l'usage exclusif. Sis à Washington, ce consortium contrôle la production de pétrole et d'idées dans le monde entier. Diamond est à sa tête. Ennemi personnel de Nicholaï Hel, il tient enfin une possibilité de l'éliminer. Les agents de la CIA, utilisés par la Mother Company comme «contribution à l'obligation d'employer des handicapés mentaux», ont foiré une mission : ils ont laissé s'échapper une sioniste chargée d'éliminer des terroristes palestiniens à Rome. Fat Boy détecte des liens avec Hel. La voici à Etchebar (Pyrénées-Atlantiques), où les Américains vont s'occuper d'elle. Hel s'en sortira-t-il ?
2- Hel est-il raciste ?
Les Arabes en prennent pour leur grade, ils ne sont pas les seuls. Né à Shanghai d'une comtesse russe et d'un Prussien qu'il n'a pas connu, Hel est le fils spirituel d'un général japonais. Il est polyglotte. «Parce que les enfants des domestiques étaient ses seuls compagnons, Nicholaï parlait également couramment chinois et il prit l'habitude de penser dans cette langue, sa plus grande terreur d'enfant étant de laisser sa mère lire dans ses pensées - or elle ne parlait pas chinois.» Nicholaï dit autant de mal des Russes que des Américains : «Il est révélateur que le cow-boy soit le héros type de la culture américaine : un immigrant victorien brutal et sans éducation, issu de la masse rurale.» Il a des théories sur les Français, «un peuple qui a produit des générations d'aristocrates, mais pas un seul gentleman ; une culture où le droit remplace la justice». La France ? «Une fourmi égocentrique qui grimpe sur la patte d'une vache en lui promettant de ne pas lui faire de mal.» C'est pendant la guerre et en prison que Hel a forgé sa vision du monde. Il a été torturé par un Américain nommé Diamond. Il s'est découvert un sixième sens - «le sens de la proximité» -, et a appris le basque car il ne disposait que de livres dans cette langue. Shibumi est un roman d'apprentissage. On sait ce qui va se passer, mais c'est comment ça se passe qui nous enchante.
3- Comment l’assassin tue-t-il le temps ?
Hel est un spéléologue dont Trevanian détaille les exploits. A ses heures perdues, il invente cent façons d’améliorer son équipement. On ne s’étonne pas qu’il soit un bricoleur inspiré dans le domaine des armes. C’est fou ce qu’il peut faire avec un crayon et une feuille de papier. Sinon, il cultive son jardin, conçu pour écouter la pluie tomber.