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Libération
Critique

Saints honorés

Hagiographies de figures spirituelles alternatives par Philippe Vasset
publié le 21 octobre 2016 à 17h12

Apremière vue, le narrateur du dernier roman de Philippe Vasset n'inspire pas la sympathie. Le bonhomme a été fonctionnaire pendant vingt ans au Vatican. Dans un service peu connu mais qui ouvre une impressionnante boîte de pandore, la Congrégation pour la cause des saints. La matière a beau sortir de l'ordinaire, le job a ses automatismes et, comme dans une société lambda, pâtit de la pression hiérarchique. Toute la sainte journée, quand il officiait encore, il quêtait les miracles, instruisait des requêtes en béatification et authentifiait des reliques. Mais il a été proprement viré de cette «usine à auréoles», qui en a généré pas moins de 484 sous le dernier pontificat.

Avec la Légende, on entre dans une immense cour des miracles. L'auteur, qui a été pensionnaire à la Villa Médicis, semble être tombé sous le charme de la célèbre enclave religieuse romaine et de sa fabrique à légendes. C'est un lieu idéal pour compulser de vieilles hagiographies et découvrir la vie des saints. Habituellement attiré par les «zones blanches», Philippe Vasset n'en est pas resté à cette béatitude des tortures, stigmates et autres révélations. Il s'est servi de ce dogme catholique pour aller chercher des figures contemporaines également dévorées par une obsession, une cause. Et il en dresse des portraits de saints, à la manière des grands théologiens qui transcrivaient la vie de sainte Thérèse ou de saint Ignace. Ainsi d'Azyle, graffeur de train à Paris depuis vingt ans, les bras et les voies respiratoires attaquées par ses encres corrosives. Ou de Darie, une recluse d'aujourd'hui, objet de prières d'accidentés de la route.

En cela, l'auteur répond à l'ambition de son narrateur fonctionnaire qui rêvait de faire entrer des personnalités inhabituelles dans le panthéon mondial de la sainteté. La maison aurait pu élargir la palette, se disait-il. «Je plaçais également de grands espoirs dans les célébrités: il y avait, j'en étais sûr, quantité d'histoires inexploitées dans le monde du sport et de la variété.» Ce désir frustré d'ouverture d'un homme de dossiers va tomber sur une femme sans attache et sans principe. Laure s'apparente à un feu follet, apparaissant là où on ne l'attend pas, se fondant dans les univers d'autres groupes de gens, vivant d'autres vies que la sienne.

Quelle serait la suprême transgression dans cette ville bourrée d’églises, adoratrice de reliques, à cheval sur l’éclat de la soutane ? Le couple infernal, le fonctionnaire pontifical en mal d’aventure et la femme en perpétuel désir de mutation vont exhumer la trajectoire courbe de l’abbé Boullan. Et plonger dans le fameux carnet du lubrique sataniste, en possession de la Bibliothèque vaticane. Cette mise en abîme reste dans les rets distanciés et ironiques de Philippe Vasset, qui ne cherche jamais le sensationnel. A sa manière, il documente une société névrotique, en mal de changement. Une société qui suscite d’autres formes de héros, mais qui demeurent invisibles. Leurs hagiographies, vécues de l’intérieur, feraient de bons romans.