Sylvain Tesson, écrivain essentiellement voyageur, a su s'attacher un lectorat fidèle. Depuis sa parution, le 13 octobre, Sur les chemins noirs est bien installé dans les meilleures ventes - cela, il est vrai, avant que tombent les premiers prix littéraires. Tesson a lui-même obtenu le Goncourt de la nouvelle en 2009 pour Une vie à coucher dehors, titre prémonitoire puisqu'il raconte ici comment il chemine à pied et dort à la belle étoile, de la frontière italienne à la pointe de la Hague, et du 24 août au 8 novembre, choisissant «les pistes oubliées» de préférence aux sentiers balisés.
1- Pourquoi passe-t-on de Kaboul à Châteauroux ?
Rejoint de temps à autre par un ami, Sylvain Tesson partage alors avec lui le souvenir d'expériences grandioses en des contrées lointaines, avec lesquelles une nuit d'hôtel dans la préfecture de l'Indre ne saurait rivaliser. Mais l'auteur est un rescapé, et cette traversée de l'Hexagone en diagonale, le résultat d'un pari : «Si je m'en sors, je traverse la France à pied», se disait-il sur son lit d'hôpital. Ses lecteurs aiment qu'il se soit relevé après avoir été, tête brûlée, garçon risque-tout, un gisant. «Ma mère était morte comme elle avait vécu, faisant faux bond, et moi, pris de boisson, je m'étais cassé la gueule d'un toit où je faisais le pitre.» Plutôt qu'un été de rééducation, l'impatient miraculé a choisi de se mettre en marche, la colonne vertébrale comme une boîte de vis. Muni de cartes IGN, il crapahute à travers l'«hyper-ruralité», ce désert français que les fonctionnaires déplorent mais pas les poètes.
2- Peut-on encore être romantique ?
Ce sont les romantiques allemands qui ont conféré à la marche à pied ses lettres de noblesse. Dans les villages abandonnés, les hauteurs provençales délaissées, jusqu'aux plages du Cotentin, on devine la silhouette de Sylvain Tesson, tandis qu'il crapahute. Il lui arrive même de traverser le Var à gué. Il lui arrive aussi de se reposer : «En cette année du XXIe siècle, cela me semblait bon de pouvoir passer une heure sans rien faire, comme le petit personnage d'un tableau pastoral du XVIIIe siècle.» La nature l'approvisionne en mûres, poires, figues. Evidemment, les rencontres ne sont pas au diapason. Un verre de lait et une botte de foin ? Il n'y faut point songer : «On vous aurait bien fait le tarif gîte d'étape mais on n'a pas l'accréditation administrative.» Les paysages sont couturés de routes et de hangars. Le plus triste, le plus artificiel étant peut-être tel «village-musée pour lecteurs de Pagnol».
3- La campagne doit-elle être connectée ?
Sylvain Tesson découvre la nostalgie qui, dit-il, n'était pas son genre. Non content d'exercer son ironie sur l'aménagement du territoire préconisé par Paris, il se moque d'un congrès d'élus du Puy-de-Dôme qui «préparaient la connexion de leur campagne». C'est un des rares moments du livre qui ne soit pas consensuel, ni très sympathique. L'auteur pense que «tendre des écrans entre soi et le monde n'a jamais rien arrangé», et que ces prétentions au haut débit et à l'équipement numérique sont ridicules, sinon néfastes. L'isolement n'est pourtant pas la solitude choisie. Internet dans une ferme, ce n'est pas un écran, ni une clôture, c'est ni plus ni moins comme le passage du facteur.