Un été en banlieue parisienne il y a une dizaine d’années : Lensky aime Olga et le clame sur tous les toits. Derrière ce couple exemplaire se trame une passion plus ravageuse encore : la petite sœur d’Olga, Tatiana, 14 ans, s’éprend du meilleur ami de Lensky, Eugène. Celui-ci, flatté mais déjà las du haut de ses 17 ans, refuse brutalement ses avances. Flash-forward aujourd’hui, quand Tatiana et Eugène se croisent par hasard dans le métro après avoir rêvé l’un de l’autre durant toutes ces années. Elle est thésarde en histoire de l’art et lui végète dans une boîte quelconque.
Dans ce récit, où il est question de gâchis, de secondes chances et de temps perdu, se télescopent les amours de jeunesse et le principe de réalité à l'âge adulte. Une valse des regrets avec la mort tragique de Lensky en toile de fond. Songe à la douceur, renversant roman en vers (un format qui pourrait a priori repousser les jeunes lecteurs) émerveille en intégrant harmonieusement des échanges fiévreux de textos et des conversations sur Skype. Une langue en forme de calligrammes qui épouse les contours de la psyché. Ainsi, Tatiana qui observe en catimini l'objet de ses désirs :
«Et
elle
voit
une
fine
ligne
de
poils
bruns.»
Installée en Angleterre où elle tient un blog, Clémentine Beauvais (qui s'était exprimée dans Libé à propos des clichés sexistes qui plombent la littérature jeunesse) était déjà l'auteure à succès des Petites reines, sur un groupe de copines moches. A partir de la trame déchirante d'Eugène Onéguine de Pouchkine et de Tchaikovsky, elle propose ici une troublante actualisation des amours impossibles du dandy de Saint-Pétersbourg.
Songe à la douceur de Clémentine Beauvais, éd. Sarbacane ; 240 pp. ; 15,50 euros.