Alors que l'on contemple, impuissants, Alep agoniser, est-elle déplacée, cette somme de merveilles du patrimoine en péril, ou détruites, qui constellent le Proche et le Moyen-Orient ? Est-ce plus ou moins important d'offrir un tombeau à la Babylone transformée par Saddam Hussein en «un assemblage de Lego», au site de Mes Aynak en Afghanistan menacé par une ville-champignon chinoise, au temple de Bel de Palmyre réduit en cailloux par l'Etat islamique (avec la complicité d'un régime syrien qui laissa faire), au musée de Dhamar au Yémen disparu sous les bombes saoudiennes, aux bouddhas de Bâmiyan pulvérisés par les Talibans…
Sous la plume de Jean-Pierre Perrin, spécialiste de la zone et correspondant de guerre, notamment pour Libération pendant plus de vingt ans, jamais la question ne se pose. Cet amoureux de la région, à l'immense culture brassant aussi bien Hérodote que les choses vues sur les lieux, donne corps et chair à ce qui est en train de se désintégrer sous nos yeux, sans jamais oublier les ravages humains engendrés par ces folies meurtrières. Il rappelle, surtout, combien tout, dans l'élan mortifère qui traverse ces sites, est lié - destruction des hommes, de la culture, de la mémoire et de l'âme, les uns n'allant pas sans les autres.
Alors, quoi ? Faire connaître les lieux, préserver l'histoire, à tout le moins. Dans ces pages richement illustrées, revit la cité de Cyrène, en Libye, où les habitants de Santorin fondèrent une colonie au VIIe siècle avant J.-C., y important leurs arts et leur philosophie, en bonne entente avec les nomades voisins. La cité d'Aï Khannoun, aussi, cette capitale royale fondée par Alexandre le Grand ou Séleucos Ier vers 300 avant J.-C., qui témoigne de la présence grecque en satrapie perse (aujourd'hui Afghanistan). On l'imagine animée, éclairée, avec ses temples, son théâtre de 5 000 places, sa trésorerie, sa fontaine, ses bains… Est rappelé ici ce que l'on est trop coupables d'oublier : que la Méditerranée est un pays, qu'elle est notre passé et notre incertain avenir.
Lors de ses reportages, Jean-Pierre Perrin avait eu la chance de gravir au sommet du grand bouddha de Bâmiyân, d’où l’on embrassait jadis la ville et le vieux bazar, les steppes, et le massif Koh-e Bâbâ, avec sa couronne de neige éternelle, juste en face : ce dernier semblait observer cette autre merveille, faite de la main de l’homme, comme sa semblable. Plutôt que de méditer sur ce qui fut grand et dont il ne demeure presque rien, le livre donne envie de se battre pour ce qui reste, magnifiquement évoqué ici aussi, ces sites de Leptis Magna, Ghadamès ou du Krak des chevaliers, dont les destinées sont plus que jamais menacées.