La guitare ne ment pas
Elle boude parfois. Souvent même. Ce n’est pas si facile la vie d’une guitare. L’histoire commence au fond d’une cale de bateau. «
Depuis combien de temps a-t-on quitté Tokyo et l’atelier de mon luthier?J’ai mal au cœur. Quel voyage interminable. Si encore je savais où on va…»
Joie du livre disque: on entend le clapotis de l’eau, quelques mouettes au loin et surtout l’écho (très réussi) de la guitare trimballée dans son étui. On saute à pieds joints dans la peau de cette guitare, qui parle, interprétée par Mélanie Pain. Sa fierté d’atterrir dans une vitrine d’une jolie boutique parisienne de Pigalle, puis la hâte de trouver un propriétaire…
«Le saxo d’à côté me jette des regards langoureux, ce qui rend jalouse sa copine la clarinette. Vivement que quelqu’un m’achète!»
Ce sera un «Grand Nigaud», nommé Zachary (Albin de la Simone dans le disque). Il est grand et fin comme une tige et roux. Parfaitement raccord au décor orange vintage dessiné par Jean-François Martin. Zachary et sa guitare vivront un destin de rock star, à base de paillettes (à L’Olympia), de trahison avec
«cette affreuse guitare électrique»
et de drame. Le livre est entrecoupé de chansons, certaines un peu trop longues. Mais c’est là, son seul (petit) défaut.
Marie Piquemal
La guitare dans la vitrine, écrit et composé par Olivier Libaux. Actes Sud Junior. Dès 5-6 ans. Durée du CD : 40 minutes. 23 euros.
Cendrillon en rade de Uber
Ce n’est pas un récit en continu mais six petits bouts de contes célèbres. Sur chaque page se cache une pastille à presser pour mettre la scène en musique. On est d’entrée de jeu dans du grand classique: l’anniversaire de la jeune Aurore (aka Belle au bois dormant) sous l’œil jaloux de la méchante sorcière, le tout sur la valse de Tchaïkovski, ça y est, vous avez l’air en tête. On enchaîne avec l’apprenti sorcier qui maîtrise très moyennement sa baguette magique sur l’air de Paul Dukas qui donne envie dare-dare de re-re-revoir «Starmania». Puis la Belle draguée par la Bête, la danse de la fée Dragée, Cendrillon en rade de robe et de Uber dépannée in extremis par sa marraine, puis Shéhérazade faisant de l’œil à son prince. Il y a du Ravel, du Prokofiev, des guirlandes de fleurs, des châteaux à six ou sept tours et des palais russes. Un quatuor de souris en queue-de-pie sous un carrousel, des lapins flûtistes, une princesse en jupon de friandises, un balai qui danse tout seul et une dose tout à fait raisonnable de paillettes et de rose bonbon. Ça scintille, ça chatoie et les morceaux n’ont pas trop ce petit son métallique pour un livre musical. En le refermant, voilà que l’enfant fredonne Casse noisette. C’est toujours cela de pris sur la Reine des neiges et son
«Libérée délivrée».
Laure Equy.
Mes premiers airs de contes de fées, d'Emilie Collet et Sophie Rohrbach. Ed. Gründ, 14.95€.
Carmen, oiseau rebelle perdu à l’Opéra

Le Fantôme de Carmen, de Pierre Créac'h. Conte musical dit par Yolande Moreau. Durée d'écoute : 44 minutes 15. Editions Sarbacane, 29,90 €.
Gigi, fashion pas victime
Ça commence comme une success story à l’américaine : Gigi, poulbote de Montmartre et fille de tailleur, est une talentueuse couturière de l’ombre, qui dessine des robes pour ses copines. A la faveur d’une rencontre inopinée, elle devient la styliste en chef d’une grande maison de couture, Grandchamp, établie en 1927. Hélas, un jour, c’est la panne sèche. Que dessiner pour la nouvelle collection ? Comment trouver l’inspiration ? Acculée, désespérée, seule dans le froid et la neige (c’est l’hiver en plus), Gigi tombe une gitane qui lui offre un grain de raisin, lequel la fait voyager dans le temps (ça arrive). Elle atterrit en 1927, où elle rencontre le gotha des Années folles (ou la Génération perdue, si l’on préfère). Coco Chanel, Josephine Baker, Sidney Bechet reprennent vie. Et ça jazze à la Coupole, et ça boit des cafés en terrasse du Dôme, comme tout le beau monde de l’époque, avec peut-être la chance d’y croiser le héros du moment, l’aviateur Charles Lindbergh, forcément trop stylé puisqu’il vient de rallier Paris à New-York sans escale en 33 heures (mais ça, c’était avant qu’il ne fricote avec les nazis). Mieux, Gigi remontera le temps jusqu’à Marie-Antoinette et la Révolution. De quoi lui redonner de l’inspiration pour les vingt années à venir, puisqu’on sait bien que la mode est un éternel recommencement…
Gigi
est magnifiquement illustrée par Charlotte Gastaut, dont le trait élégant et graphique enlumine ce livre disque brillamment écrit par Philippe Eveno (beaux personnages, bon suspense), fort bien lu par Julie Depardieu (qui par ailleurs a très un beau grain de voix), et dans lequel on entend la participation de Philippe Katerine - avec quelque chose de la Katerine touch' qu’on aime tant lorsqu’il braille délicieusement, sur un air de charleston, «
Gigi, écoute ce vieux jazzman
» !.
Johanna Luyssen
Gigi, reine de la mode. Livre-CD de Philippe Eveno. Illustrations de Charlotte Gastaut. Lu et chanté par Julie Depardieu. Avec la participation de Philippe Katerine et Claire Tillier. Actes Sud Junior. 21 €.
Un disque drôlement chpouët
Sacré nom d’une pipe, mais qu’est-ce qui m’arrive ? Je ne sais plus parler, je crois. Je dis «pouët» à tour de bras. Pas une phrase, pas une discussion sans que ça sorte tout seul de ma bouche. Comme un toc. Pouët par-ci, pouët par-là, tous les mots en «pouët» – en «-ette» ! – y passent. Drôle de maladie. Je crois que c’est ça qu’on appelle le syndrome de la Tour’pouët. Ça a commencé ce matin, quand j’enfilais mes chauss’pouët – mes chaussettes ! C’est revenu plus tard, aux toil’pouët – aux toilettes !
Sûr que c'est un coup de François Hadji-Lazaro, ça. Depuis hier que j'écoute son livre album, Pouët, j'ai la chanson dans la pouët – dans la tête ! «Pouët, pouët pouët il a dit pouët… Çui qui dira "pouët", il a perdu.» Pas que ça me dérange vraiment, on s'habitue, franchement, c'est plus pour les autres que ça me gêne. Ce midi, à la caf'pouët, j'ai commandé une andouill'pouët bien grassouill'pouët, la serveuse a tiré une drôle de pouët ! Comme Léon, mon poto Léon, quand je lui ai demandé une cigar'pouët à l'heure du goûter.
Léon, tiens tiens, il y en a un dans le bouquin, justement. C'est un petit caméléon, le Léon, «le plus gentil, le p'tit joli kiki, le plus bouli-bouli» des caméléons. Le p'tit Léon, il joue de l'accordéon (comme Hadji), et il me fait un peu penser à un autre, de Léon, celui de Boby (Lapointe). Ouais, il y a un peu de Boby Lapointe dans ce livre album pour enfants (et parents) de François Hadji-Lazaro, le deuxième du gars de Pigalle et des Garçons bouchers, quatre ans après Ma tata, mon pingouin, Gérard et les autres (naïve jeunesse, 2012). Dans le violon (il y en a), les textes et les jeux de mots, parfois, mais la comparaison s'arrête là.
Musicalement, l'objet de Lazaro (formidablement illustré par Delphine Durand, qui en plus de dessiner super est championne du monde de salsa acrobatique – il paraît) ressemble à l'ancien mais aussi à ce que l'artiste fait d'habitude avec ses deux principaux groupes. C'est-à-dire un peu mus'pouët – musette ! – et punk. En différent quand même, parce que c'est pour les enfants. Mais en toujours aussi pouëtique. Trois adaptations : Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs (Pigalle), que tout le monde connaît, est devenue Dans la salle de la cantine de la rue des Martines, et J'ai deux mains gauches (François Hadji-Lazaro, qui en passant jouera Pouët aux Francofolies de La Rochelle, le 13 juillet) a gardé son titre, mais les paroles ont beaucoup changé : «Paraît que dans les waters, y a toujours des sorcières. Si on tire la chasse d'eau, elles reviennent pas d'sitôt.» Tout le reste est original (qui rime avec génial), composé et chanté par Hadji-Lazaro lui-même, lequel joue de tous les instruments qu'on entend dans le disque (oui, un disque, un CD, un vrai de vrai) et même ceux qu'on n'entend pas (mais pas tous en même temps, évidemment) : de l'accordéon (comme Léon), du banjo, de la guimbarde, mais pas de l'hélicon, de la guitare métalo-celtique, du coq (ou alors il l'imite très bien) et même de la vielle à roue. A ne pas confondre avec la mémé en trotinn'pouët – en trottinette ! Tristan Berteloot.
Pouët, François Hadji-Lazaro. Paroles et musique François Hadji-Lazaro, illustrations Delphine Durand. Milan, 2016, 19,90 €.
Crocodile dandy
Puisqu’il reste encore quelques jours pour célébrer l’année du
[ centenaire de la naissance de Roald Dahl ]
, penchons-nous donc (pas de trop près, il a quand même «des centaines de dents blanches et pointues») sur cette réédition augmentée de l’
Enorme crocodile
. Au commencement est donc un album grand format écrit par Roald Dahl en 1979 et illustré par
[ son complice Quentin Blake, ]
ce qui est déjà en soi la garantie de ne pas perdre son temps. Le croco en question a les crocs, et rien ne lui ferait plus plaisir que de croquer un enfant
«dodu et bien juteux»
. Ce dont les autres animaux de la jungle tentent de le dissuader. Dans cette version sonore, c’est François Morel (qui raconte plutôt bien les histoires) qui joue le narrateur, passant d’une voix à l’autre. Mais l’originalité du projet est qu’il est aussi chanté. Mis en musique par la compositrice Isabelle Aboulker, interprété par trois solistes, un chœur d’enfants et l’Orchestre de chambre de Paris,
l’Enorme crocodile
devient une sorte d’opérette joyeuse, où certaines phrases récurrentes du texte viennent comme des refrains rythmer l’histoire de ce crocodile qui échoue lamentablement à mastiquer du marmot alors qu’il a
«dressé des plans secrets et mis au point des ruses habiles».
Un album à lire en écoutant et à feuilleter en fredonnant.
Guillaume Launay.
L'énorme crocodile de Roald Dahl, illustré par Quentin Blake, musique originale d'Isabelle Aboulker (environ 35 minutes), Gallimard Jeunesse musique. A partir de 6 ans, 24,90 €. (Existe également avec la même équipe une version musicale d'Un amour de tortue)
Planète pas nette
Les rythmes sont gais et entraînants, la voix de Dominique Dimey souriante et douce. On reconnaît les airs archiconnus des comptines populaires. Mais les paroles, elles, ont changé.
J’aime la galette
est devenu
J’aime ma planète
, les plastiques ont remplacé les
Colchiques dans les prés
… Il est question de banquise qui s’amenuise, d’abeilles décimées ou d’hommes qui coupent les grands chênes dans la forêt lointaine. Voilà les enfants avertis des menaces qui pèsent sur notre environnement. Trop triste? Non, car la star des maternelles leur chante aussi la beauté de la nature, leur apprend à l’aimer et la protéger. Et livre de beaux messages d’espoir.
Accueillons les abeilles dans nos jardins et elles nous offriront tous leurs trésors, plantons de nouveaux chênes et coucous comme hiboux reviendront. Face à l'inertie du «monde, ses chefs, leurs ministères», les enfants ont leur mot à dire -Lundi matin, pleine d'humour. Mention spéciale, aussi, à C'est sur un pont, sur la nécessaire solidarité Nord-Sud. Un album joliment engagé, soutenu et parrainé par le scientifique et humaniste Hubert Reeves. Pour éveiller les consciences de toute la famille. Coralie Schaub.
Tout va très bien, Madame la banquise, de Dominique Dimey, Universal Polydor, dès 3 ans.
Et toujours
Si ces albums ou livre disques de chanteurs «pour adultes» à destination du jeune public ont quelques années, ils sont encore recommandables. Ainsi, des trois opus de Pitt'Ocha (trois CD parus entre 2003 et 2013, Irfan), où les quatre frères et sœurs des Ogres de Barback et leurs invités ont mis leur folk-rock acoustique sous influence musique du monde au service des enfants, non sans soigner les textes. Dans la famille proche, on notera aussi les albums pour enfants de Weeper Circus (Gallimard jeunesse).
Année électorale oblige, on peut aussi se remettre dans les oreilles Léonard a une sensibilité de gauche (Tôt ou tard, 2011), de Vincent Delerm (avec Jean Rochefort en narrateur) où il est très clairement expliqué aux enfants ce que c'est la gauche («Ce poulet du dimanche, il est de gauche, ce soleil sur les branches, il est de gauche»).
On profite enfin de l’occasion pour déplorer que l’excellent Ronchonchon et compagnie de Alexis HK et Liz Cherhal, sans doute un des meilleurs disques pour enfant de ces dernières années, soit aujourd’hui indisponible.
On peut en attendant prêter une oreille à Radio Minus une vraie radio web pour enfants, avec des fonctions étudiées et une formidable sélection musicale des quatre coins du monde.