Il faut peut-être revenir d’entre les morts, ou vivre en leur compagnie, ou avoir séjourné plusieurs mois dans un hôpital, pour sentir à quel point la Montagne magique est une œuvre dont le facétieux sortilège vous est personnellement destiné : il y a toujours quelque magie dans les labyrinthes de la longue maladie. L’imagination vous prend au saut du lit dont vous ne sortez pas. Le roman de Thomas Mann, publié en 1924, est toujours une danse macabre, pour reprendre le titre d’un chapitre, aux allures de lanterne magique. Chaque personnage est accompagné par son squelette et revêtu d’un costume, d’un langage, de gestes, qui le métamorphosent en ombre chinoise.
On plonge avec eux tous dans la maladie comme en enfance, dans la littérature comme en maladie, dans l’amour comme dans un rêve interdit et dans l’Histoire comme dans un cauchemar autorisé. C’est un manège en altitude qui enchante l’univers de ce patient si particulier, prenant tout à corps et à cœur, qu’est le lecteur. Il le fait baigner dans une matière fluide, collante et incertaine, une matière à laquelle échappent par leurs activités et leurs agendas les bien portants, les actifs, ceux qui croient toujours qu’un «retour à la normale» est possible, ceux qui ne lisent pas. Cette matière - cette lymphe - est au cœur du livre. Elle fait l’objet de réflexions volontairement répétées. C’est le temps.
Prenons, au hasard, le chapitre VII. On approche de la fin. Il y a déjà eu pas mal de morts et d’apparitions, comme