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Libération
Pourquoi ça marche

Les colocs Blake et Mortimer squattent les sapins

La BD puise dans les vieux encriers.

Publié le 23/12/2016 à 17h36

Bonté divine ! Les deux old fellows les plus courageux d'outre-Manche sont de retour dans les bacs des libraires et cartonnent. Sorti le 25 novembre, le Testament de William S., les nouvelles aventures de Blake et Mortimer, s'est déjà vendu à plus de 150 000 exemplaires et est en tête du classement BD Datalib pour la semaine du 12 au 18 décembre. Les opus précédents s'étaient déjà écoulés à plus de 400 000 exemplaires, et les héros créés par Jacobs sont repartis sur les mêmes bases.

1/ Blake et Mortimer, enfin sexuellement ensemble ?

C'est un bon cru. Profitant des 70 ans des deux bougres et des 400 ans de la mort de Shakespeare, Sente et Juillard font partir les éternels colocs à la recherche d'un manuscrit inédit, de Londres à Venise (lire notre critique web). Sans grands enjeux - pour une fois, il ne faut pas sauver le monde -, le récit est une balade agréable et parallèle entre l'Europe des années 50 et celle du XVIe siècle, avec des allusions plus prononcées que d'habitude sur la bisexualité des personnages.

2/ Un manque d’imagination des acheteurs ?

Noël est une période très propice pour la bande dessinée. Quoi de plus simple que d'offrir au petit cousin un album sous le sapin ? On est à peu près sûr de plaire. En tout cas, le gamin ne tirera pas une tronche de dix kilomètres de long, comme ça arrive parfois avec un pull en laine qui gratte tricoté par mamie. La plupart des acheteurs n'y connaissent que pouic dans le neuvième art. Pour être certain de ne pas décevoir, un Blake et Mortimer semble moins risqué que l'excellent Patience de Daniel Clowes chez Cornélius ou le barré Highbone Theater de Joe Daly à l'Association. On arrive à la Fnac, il y a des piles du Testament de William S. à l'entrée., hop, c'est réglé, simple et efficace. La liste des meilleures ventes est accaparée par les «valeurs sûres». On retrouve notamment aux 15 premières places le nouveau Lucky Luke (pourtant tout à fait moyen, mais ça n'a aucune importance dans l'acte d'achat), les trois tomes de l'Arabe du Futur de Sattouf, ceux des Vieux Fourneaux de Lupano et Cauuet (l'histoire d'un trio de vieux reprenant du poil de la bête et vivant de folles aventures, parfait présent pour les grands-parents) et des suites, Silex and the City, Seuls, Lou !

3/ Une marvelisation des esprits ?

Si des œuvres originales et inédites continuent de paraître, il est difficile pour elles d'exister commercialement. Le petit monde de la bande dessinée est de plus en plus touché par ce que connaît Hollywood, avec une multiplication des blockbusters de super-héros de Marvel ou de DC Comics. L'année 2016 a été ponctuée de commémorations et de reprises montrant cette concentration de l'attention. En France, les Batman, Superman et autres X-Men sont l'inégalable Astérix, Lucky Luke, Spirou, Gai-Luron, etc. Le cow-boy solitaire a eu le droit à une suite de la série, mais aussi à une carte blanche donnée à Matthieu Bonhomme (L'homme qui tua Lucky Luke). Sans oublier les aventures du groom et les nouveaux gags du personnage de Gotlib, avant sa mort, par Fabcaro. Mickey a, lui, connu des réinterprétations globalement déjantées, tandis que les Tuniques bleues ont bénéficié d'un album hommage. Et arrivent en 2017 la colorisation de Tintin au pays des Soviets et le raz de marée probable des intégrales de Valérian et Laureline, avec la sortie du film de Luc Besson. Ces bandes dessinées ne sont pas forcément honteuses et, historiquement, c'est un art qui a toujours fonctionné sur le principe de la série, mais ce recyclage jusqu'à l'os montre aussi un manque d'imagination et de prise de risque des éditeurs, qui préfèrent que les auteurs, même jeunes, trempent leurs pinceaux dans les vieux encriers. Si on ne raisonne qu'en chiffres de vente, les lecteurs leur donnent raison.