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Libération
Deux vies

Richard Adams au paradis des lapins

L’auteur britannique du best-seller «les Garennes du Watership Down», mort à 96 ans, était aussi un militant pour la protection des animaux.
Richard Adams en 1974. «Les Garennes du Watership Down» fut adapté à toutes les sauces. (Photo Mark Gerson. BridgeMan)
publié le 28 décembre 2016 à 20h46

L'histoire de Richard Adams ne peut que réconforter les plumitifs tardifs qui rêvent de devenir des écrivains célèbres. Ce fonctionnaire britannique a déjà 52 ans quand il publie son premier roman, les Garennes de Watership Down, en 1972. Sans doute ne pensait-il pas que ce conte imaginé pour ses filles Juliet et Rosamond serait un immense best-seller. Si ça n'avait pas été le cas, nous n'en parlerions pas. Le succès de l'opus donne le vertige : les Garennes de Watership Down a été vendu à plus de 50 millions d'exemplaires dans le monde depuis quarante-cinq ans et son bienheureux auteur a vécu jusqu'à 96 ans, avant de s'éteindre à 22 heures le soir du réveillon de Noël.

Oxford. C'est un peu comme si Richard Adams avait eu deux vies. Comme si, à l'image de ses lapins qui fuient la destruction de leur terrier, il avait soudain quitté l'anonymat pour gambader au grand jour. Né le 9 mai 1920 à Newbury dans le Berkshire, Richard George Adams, le plus jeune de trois enfants, se coule dès 6 ans avec plaisir dans la peau du Jeannot Lapin des livres de Beatrix Potter. Il adore aussi parcourir la campagne environnante avec son père, le long de la rivière ; la vue en contrebas de la demeure familiale lui inspirera la garenne de Watership Down. Le jeune étudiant en histoire à Oxford est mobilisé à 20 ans comme parachutiste pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette expérience traumatisante sera relatée dans son autobiographique The Day Gone By (1990). Deux de ses officiers serviront de modèles à ses lapins : à l'impulsif et courageux Bigwig et à l'intelligent Hazel. Après son diplôme, Richard Adams entre au ministère de l'Environnement où il réussira à faire signer une loi sur la pollution de l'air en 1968 (Clean Air Act).

La chronologie aurait pu s’arrêter là si ses filles n’avaient pas un jour mis leur grain de sel en le pressant de raconter une histoire. Légende urbaine ? C’est en roulant vers Stratford-upon-Avon, la ville de Shakespeare, que le paternel a débuté son récit pour ses gamines qui s’ennuyaient ferme. Adams a inventé Hazel et Fyveer, deux lapins héros qui poussent leurs congénères à partir avec eux trouver un terrier plus sûr. Il a continué à tricoter pendant trois semaines avant que Juliet et Rosamond ne le poussent à l’écrire.

Le manuscrit est tombé des mains d’éditeurs sans doute un peu frileux qui ne voyaient pas comment ces aventures de lapins intéresseraient les adultes et comment ce style mûr ne rebuterait pas les enfants. Sept refus… avant que la petite maison londonienne Rex Collings n’en tire 2 500 exemplaires. En un an, il s’en vendra plus d’un million…

L'éditeur américain Macmillan parvient même à tirer le texte vers le rayon adulte. «Cela ne traite pas des lapins. Mais de la vie et la mort», soutenait-on chez Macmillan. En prime, les Américains adorèrent cet Anglais qui venait chez eux avec son inamovible parapluie, sa cravate vintage, son chapeau melon et même sa marmelade et son coquetier. Mais si Richard Adams est devenu culte aux Etats-Unis, c'est aussi pour ses préoccupations environnementales et son combat pour la protection des animaux.

Exilé fiscal. Deux ans après la sortie de Watership Down en tout cas, l'existence plan-plan de Richard Adams avait basculé : fini le fonctionnaire, bonjour l'écrivain à plein-temps et la maison sur l'île de Man d'exilé fiscal. Le livre inspire l'écran, notamment un film animé un peu terrifiant en 1978 avec une bande-son chantée par Art Garfunkel, une série télévisée diffusée de 1999 à 2001 et, pour 2017, une nouvelle adaptation de quatre épisodes d'une heure coproduite par la BBC et Netflix. Les titres suivants de l'écrivain, une quinzaine d'ouvrages entre romans, essais et recueils de nouvelles, n'atteignirent jamais les hauteurs du premier. Dès son deuxième, Shardik (1974), ce fort caractère et chaud-lapin, selon le Times, constata, un peu amer : «J'ai toujours pensé que c'était mon meilleur livre, mais personne d'autre ne le pensait…» En 1996, il donnera en pâture aux fans une suite à son œuvre culte sous forme de 19 nouvelles, The Tales of Watership Down.

Qui n'a pas encore folâtré avec la bande de lapins menée par Hazel n'aura aucune difficulté à les retrouver. Monsieur Toussaint Louverture a eu la bonne idée de rééditer en septembre, dans une traduction entièrement révisée (1), le fameux roman publié pour la première fois en français en 1976 par Flammarion. L'expérience s'avère troublante : le lecteur se retrouve à ras de terre dans les poils et la boue, à fuir un terrier en proie à un danger imminent que ressent le frêle et un peu voyant Fyveer. Les collines verdoyantes et autres champs de maïs sont décrits impeccablement, les bêtes à poil et leurs remugles aussi. On pourrait voir une allégorie dans ce groupe de lapins aux personnalités bien distinctes, qui luttent pour leur survie et se soutiennent les uns les autres contre une terrible adversité. Richard Adams rectifiait : «C'est une simple histoire de lapins.»

(1) Watership Down, Monsieur Toussaint Louverture, 544 pp., 21,90 €.