Si vous n’avez aucune intimité avec le monde des sportifs, si vous pensez que les plus rugueux sont les boxeurs, venez lire le récit du plus jeune d’entre eux, Davidù, 9 ans, dit le Poète, qui raconte la saga de sa famille sicilienne : Rosario, son grand-père, l’un des 2 survivants des 208 Siciliens partis combattre en Afrique en 1942, son père, le Paladin, son oncle Umbertino, grand champion et grand séducteur.
Vous saurez que sous l'avalanche des coups donnés et reçus s'exprime une chorégraphie du corps, une «grammaire, une syntaxe, des petits coups rapides, des syllabes de mouvement» : «A la boxe, celui qui gagne c'est celui qui est le plus rapide parce que son vocabulaire du mouvement est plus riche.» Ce vocabulaire, Davidù l'apprend aussi en récitant, pour rythmer ses entraînements, les déclinaisons latines que sa grand-mère Provvidenza lui a inculquées.
Davide Enia est dramaturge et comédien. Il sait orchestrer la chorégraphie du récit, ses tensions, ses oscillations, ses césures : l’exaltation des combats, le camp des prisonniers écrasé par un raid anglais, Palerme tétanisé par la peur après les attentats de la mafia ; les errances des amours adolescentes, les rêveries au bord de la mer, le silence des amitiés.
Car pour tous ces hommes l'amitié est laconique et défie le temps comme cette «plante grasse qui fleurira dans 22 ans» que Nicola offre à Rosario qui part chercher du travail en Allemagne. Comme cette affection pudique et protectrice faite de rebuffades qui lie Davidù et Gerruso, le souffre-douleur du quartier, l'innocent perdu dans ce monde de violence, qui n'a pour tout bagage que sa sensibilité et rêve de «renaître sanglier :
- Parce que t'es qu'une bête, voilà.
- Les sangliers, ils sont heureux.
- Et comment tu sais ça ?
- Facile, ils n'écrivent pas, les sangliers.
- Ceux qui écrivent, ils sont malheureux ?
- Sinon ils n’écriraient pas.»