Toute raison est bonne quand il s'agit de rendre hommage à André Franquin. Pour publier Franquin, il était une fois Idées noires (également disponible en kiosque comme hors-série de Fluide glacial avec vingt pages de moins et à 6,95 €), Fluide glacial en a choisi trois : 2017 voit les 60 ans de la naissance de Gaston Lagaffe (1), les 40 ans de celle des Idées noires et les 20 ans de la mort de leur auteur (à 73 ans). Idées noires, d'abord paru dans le Trombone illustré, supplément à Spirou, avant de rejoindre Fluide glacial, a été rassemblé en deux courts albums dans les années 80 (puis en un seul, intégral).
Ces dessins marquent un changement dans la carrière de l'auteur de Spirou, créateur du Marsupilami et de Modeste et Pompon (en plus, donc, de Gaston), changement que Gotlib résume ainsi dans une phrase que Gérard Viry-Babel, qui a dirigé cet album mi anthologie-mi hommage, a placé à la fin de sa préface : «Dès la première idée noire, Franquin a l'air de dire : "Attention, là c'est plus de la rigolade comme avant !" Il annonçait la couleur, c'est-à-dire le noir et blanc…» (Moins qu'Yvan Delporte, mais comme Jean Roba et d'autres, Marcel Gotlib participa à des scénarios d'idées noires.) C'est que s'il y a toujours dans ces planches la fantaisie de Franquin, il y a moins de gaieté : l'humour s'est fait aussi noir que les idées. Apparaît un aspect sinistre expliquant que le caractère dépressif de Franquin soit désormais, à tort ou à raison, presque aussi célèbre que son inventivité, sa gentillesse et sa modestie.
Gotlib encore, dans un entretien de ce Il était une fois…, quand on lui fait remarquer qu'«on ne dit jamais de mal de Franquin dans la profession» (et manifestement, c'est un cas de figure rare) : «Du mal ?! Pour le critiquer ? Mais où ? Dans sa vie, dans son travail ? Mais il n'y a rien à jeter chez Franquin ! Critiquer Franquin serait mesquin ! C'est lui qui a eu le premier Prix d'Angoulême, c'est pas pour rien. Il y a un consensus dans la profession : Franquin, c'est le plus grand. En BD d'humour, dessin ou idées !» Le créateur de la Rubrique à brac a dit avant, pour qu'il n'y ait pas de malentendu : «Que ce soit au crayon pinceau, au feutre, au balai à chiottes, n'importe quoi, c'est toujours génial !»
On trouvera dans l'album une grille de mots croisés «spécial Franquin» réalisée par le même Gotlib où Idées noires est défini en onze lettres comme «Variétés de pensées à motifs bicolores» (puisque le noir et blanc est leur nature), ainsi qu'un rébus de Franquin. Ce dernier, parlant en 1989 de son rapport aux monstres dans un entretien avec Numa Sadoul également repris : «En fait, j'ai toujours voulu dessiner des créatures effrayantes, mais je crois bien que je ne suis pas doué pour faire peur. Ma femme est peut-être la seule personne que mes monstres parviennent à terroriser…» Dans Idées noires, cependant, les pires monstres sont les humains, la condition humaine la pire monstruosité. Ça n'empêche pas de rire mais ça terrifie quand même.
(1) «Gaston, au-delà de la gaffe», expo à Beaubourg jusqu’au 10 avril.