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Libération
Critique

Nora Webster, la veuve à vif de Colm Toíbín

par Antoine Beauvet, Jardinier paysagiste
publié le 1er septembre 2017 à 17h16

Il y a des romans qui restent bien en mémoire. Nora Webster est de ceux-là. C’est l’histoire d’une veuve, une jeune femme avec deux enfants, deux garçons. En fait, je me suis aperçu, en reprenant le livre, que j’avais oublié les filles aînées, deux également. Mais ce sont quand même les deux fils qui comptent, puisqu’ils sont encore à la maison, il faut les élever. Ce n’est pas uniquement la question de l’argent qu’on n’a plus. L’un est plus fragile que l’autre, il bégaie et s’inquiète constamment. Des années plus tard, l’héroïne, Nora Webster, se rend compte qu’il s’est davantage inquiété pour elle qu’elle ne s’est souciée de lui. Le temps est un élément essentiel dans l’histoire : «Le temps guérit tout», dit, au début, une de ces voisines trop nombreuses et trop empressées qui viennent voir Nora et l’encombrer, juste après le deuil, trop tôt après.

C'est le genre d'endroit où tout le monde se connaît sans se connaître vraiment. On croit tout savoir des gens, on sait même l'endroit précis où ils iront, après leur mort, au cimetière. Mais sur ce que les gens pensent, sur les sentiments, on se méprend. Nora se reconstruira. Mais ce qui m'a semblé le plus précieux est la méprise. Un exemple : Nora va se promener au bord de la mer, seule, et naturellement quelqu'un l'a vue. Il y a toujours quelqu'un pour espionner. Une bonne sœur s'approche, avec des prières plein les phrases : on est en Irlande à la fin des années 60. Nora supporte mal d'entendre des «Il» veille sur vous. La religieuse dit alors ce qui m'a paru le plus réconfortant, et le plus surprenant dans cette histoire de deuil : «C'est une petite ville : elle vous protège.» Il y aura, en ce sens, beaucoup de surprises sur le chemin de Nora.

J'avais offert Brooklyn, le roman précédent de Colm Toíbín, à ma mère, qui elle-même l'avait offert à toutes ses amies. Si elle avait été encore là, je lui aurais bien sûr conseillé Nora Webster.

Colm Toibin, Nora Webster, traduit de l’anglais (Irlande) par Anna Gibson, Robert Laffont, 410 pp., 21€.