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Libération
Critique

Vient de paraitre

par
publié le 3 novembre 2017 à 17h36

Nouvelles

Hélène Lenoir Demi-tour

Les romans d'Hélène Lenoir ont montré qu'il convient de se méfier de la famille. Les nouvelles évoquent les ravages (négatifs et positifs) qui surviennent quand on entre en collision avec des inconnus. Locataires provisoires, voisins, réfugiés, passante : s'intéresser à son prochain fait-il mentir l'adage selon lequel la curiosité est un vilain défaut ? La part du mystère est très importante, celle de la menace aussi. Cl.D.

Jim Harrison Dernières nouvelles

Deux novellas et une histoire : on retrouve, dans ces ultimes textes de Harrison, mort en 2016, son génie du récit, son intérêt pour le sexe et sa propension à considérer les animaux comme des personnages. L'héroïne des «Œufs» visite son frère : «En quittant la prison, elle eut envie de vomir sur tout ce que les pères et les mères infligeaient à leurs enfants. Comment avait-elle pu échapper à tout ça ? Grâce à l'aide de ses poulets.» Chien Brun le sang-mêlé («Le-Chien») refuse l'euthanasie : «C.B. considérait les chiens comme une autre espèce d'êtres humains qui, eux aussi, méritaient une bonne retraite.» Cl.D.

Romans

Edgar Morin L'île de Luna

Un oncle vient chercher à l'école son neveu de 9 ans qui passera la nuit chez lui. Heureusement, Albert aura des cousins avec lesquels jouer. L'oncle explique à Albert que sa mère est partie faire une cure à Vittel. L'Ile de Luna est un roman que le sociologue Edgar Morin, né en 1921, a écrit quand il avait 25 ans et qu'il a laissé dormir soixante-dix ans. A 25 ans, après avoir été résistant pendant la guerre, Morin était l'ami de Marguerite Duras et de Robert Antelme. Le lecteur est évidemment curieux de voir de quelle façon un spécialiste de sciences sociales s'attelle à l'écriture romanesque. Edgar Morin raconte à hauteur d'enfant et avec lyrisme cet événement traumatisant d'une mort cachée. Sa tristesse nous serre le cœur. La mère, Luna, était douce et aimante. Lorsqu'Albert démasque le mensonge, il culpabilise : «La maman d'Albert était peut-être partie au ciel parce qu'on lui avait fait des chagrins. Il ne faut jamais faire de la peine aux parents.» V.B.-L. 

Camille Espedite Se trahir

Un huis-clos, dans une maison d'arrêt. Deux jumeaux se retrouvent dans la même cellule : le frêle Vallad pour avoir poignardé un passant lors d'une rixe, le géant Domingo pour agression sexuelle. «Avec son air chétif et sa moue pâle, Vallad se présente comme une fragrance ténue, à peine perceptible, aussi imprévisible qu'une nuée d'étourneaux apeurés.» Domingo, lui, «se conçoit comme un gant, tout en dehors, rien en dedans. L'intériorité est une affaire de fille, l'extérieur, seul, le constitue.» Très vite, Domingo va monnayer les faveurs de Vallad sous les yeux d'une psychologue, Hermiane, tiraillée entre bienveillance et effroi. Au moins est-elle humaine, à l'opposé de Carise, une éducatrice projetée dans cet univers de peurs et de haines par l'administration pénitentiaire pour imposer des méthodes radicales de rééducation. «Et la voilà maintenant, simple éducatrice péniblement spécialisée en sexologie criminelle promue "chef de projet" à côtoyer les gamins en imitant leur verve et à promettre aux plus prolixes des récompenses sous forme de films X.» Hermiane va tout faire pour ne pas se trahir. Dans une langue crue et taillée au couteau, Camille Espedite livre un beau texte sur la violence carcérale. A.S.

Photographie

Michel Butor Au temps du noir et blanc

Butor essayiste, Butor poète, Butor romancier mais Butor photographe ? Au retour d'un séjour en Egypte, l'auteur de la Modification (1957), encore tout jeune homme, se saisit d'un Semflex, sorte de Rolleiflex français. Et avec ce « piège à images carrées » comme il l'appelle, beaucoup moins souple qu'un Leica, il promène son regard à Paris, en Angleterre, en Italie, en Espagne ou aux Etats-Unis. Bientôt dévoré par l'écriture, il laissera cette passion à d'autres, plus professionnels, mais sera tout de même photographe de 1951 à 1962. Dans cet ouvrage conçu avant sa disparition en 2016, se succèdent des images encore inconnues jusqu'à aujourd'hui. En regard, des légendes extraites de ses textes par Mireille Calle-Gruber, spécialiste et amie. De tous ces carrés en noir et blanc, on retient une approche géométrique des lieux, une distance concentrée et une attention formelle pour des paysages d'ombres, des percées de lumière et des perspectives originales captés lors de déambulations. Cl.M.

Guide

Sonia Delesalle-Stolper, Hélaine Lefrançois Londres

Il y a aujourd'hui des centaines de raisons d'aller à Londres. Parce que c'est une des plus belles villes d'Europe, de la superbe Waterloo Station aux incontournables Carnaby Street ou Notting Hill. Parce que des quartiers hier méconnus ou infréquentables comme Putney, Tooting ou Chiswick sont aujourd'hui autant de lieux vivants et accueillants. Parce qu'à Londres, on est un peu chez nous (ce que les Londoniens savent bien, même si les Anglais l'ont un peu oublié). Plus d'un tiers des habitants sont d'origine étrangère, à l'image du maire, Sadiq Khan. Parce que la livre ayant baissé (merci le Brexit !), les prix sans être bon marché sont redevenus abordables. Parce qu'enfin, ce guide fourmillant d'adresses, de bons plans, d'idées et de balades insolites a été écrit par Sonia Delesalle-Stolper, correspondante de Libération à Londres où elle a assisté depuis une décennie aux incroyables changements ayant redessiné cette ville monde. F.D.

Philosophie

Charles Ramond et Jeanne Proust Sentiment d'injustice et chanson populaire

Le «sentiment d'injustice» semble être, comme le bon sens, la chose du monde la mieux partagée - étant donné que l'injustice est partout. Aussi devrait-on en voir la traduction dans toutes les manifestations culturelles du sentiment populaire, notamment la chanson. Or il n'en est rien : «On ne trouve pas de "sentiment d'injustice" dans la chanson populaire» (française) : telle est la conclusion surprenante de l'enquête menée par Charles Ramond, philosophe (Paris-VIII) et Jeanne Proust, qui enseigne la littérature et la philosophie à Miami. «Les thèmes principaux des chansons populaires sont l'amour impossible, la tromperie, les disgrâces de la laideur, de la vieillesse, du temps qui passe» mais aussi «la dénonciation de plaies sociales comme le racisme ou l'homophobie», les atrocités des guerres, etc. L'expression«sentiment d'injustice» n'apparaît jamais, même si, dans les chants contestataires ou révolutionnaires, certaines injustices sont dénoncées. Y aurait-il donc une «distorsion considérable» entre ce que dit (chante) le peuple et «ce que disent ses "porte-parole"» ? Et quelle est exactement, du point de vue sociologique, «la valeur du matériau "chanson populaire"» ? Les chansons populaires ne sont-elles pas des «produits finis», modelés et «façonnés par des systèmes idéologiques, religieux ou économiques, dont l'intérêt est que leurs victimes ne trouvent pas leur sort "injuste" mais au contraire "enviable"» ? Cette étude du contenu des chansons connues de tous est ici une sorte de propédeutique à «une théorie de la justice qui ferait l'économie des "sentiments moraux"»R.M.

Stéphane Floccari Nietzsche et le nouvel an

On voit à peu près ce que signifie commencer la journée, ou l'année, en musique . Mais que voudrait dire commencer l'année en philosophie - indépendamment de la kyrielle de vœux et de bonnes résolutions ? Le nouvel an, temps où en un soir s'ouvre tout un futur, peut-il être l'occasion de dire «oui», d'acquiescer à «tout ce qu'on est, sans rien rejeter ni accuser de ce qui advient et de ce qu'on désire» ? Voilà un essai original et raffiné, qui interroge le sens d'un événement obligé, socialisé, susceptible de devenir un «rendez-vous avec soi-même trop longtemps attendu, différé, rêvé ignoré», où se croisent, dans la perspective d'un an nouveau, et d'une vie nouvelle, «le possible et l'impossible, le désiré et le craint, le passé et l'avenir, le déjà-vécu et l'inédit, la réussite et l'échec, le projet et la surprise». Après avoir considéré «ce que les sociétés ont arbitrairement construit et imposé aux individus à travers les siècles en matière de calendriers et de fêtes», Floccari met ses pas dans ceux de Nietzsche pour «mettre des mots et du sens sur la manière que chacun a, dans le bricolage et l'improvisation qui caractérisent la vie humaine, de sortir d'une année, avec soulagement ou regret, et d'entrer dans une autre, avec ardeur ou crainte, guidé par l'expérience hybride de résoudre ses problèmes et de réaliser ses désirs»R.M.