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Libération
Critique

Corée du Sud, portraits empathiques

Le journaliste Frédéric Ojardias déclare sa flamme à un pays malmené par l’histoire à travers vingt-deux rencontres.
publié le 13 décembre 2017 à 18h36

Sans virer dans une sud-coréanophilie béate, il est dur de nier que cette puissance de l'Asie extrême-orientale surprend si elle ne séduit pas. Dans l'orbite des géants chinois et japonais, voilà un pays menacé par un frère ennemi nucléarisé, coincé dans une péninsule surmilitarisée, enkysté dans la misère il y a soixante ans quand la fratricide guerre de Corée avait effacé plus de 3 millions de vies. Il s'est relevé. A innové et étonne, comme le montre le journaliste Frédéric Ojardias, parti à la rencontre de 22 Coréens attachants. Dans une Asie fâchée avec la démocratie, la Corée se pose en espace libre, ouvert et vivant comme elle l'a démontré en manifestant en masse l'automne, avant de congédier sa présidente rattrapée par la corruption et l'autoritarisme de son défunt père, l'ex-dictateur Park Chung-hee. Après avoir rappelé le «sacrifice de la population dans son ensemble» pour expliquer le miracle coréen, Frédéric Ojardias va gratter derrière la façade de l'hypermodernité, derrière la «vitrine trop propre et trop brillante de la "sparkling Korea", la Corée qui pétille». S'il consacre plusieurs pages au «grand brassage religieux», il s'intéresse à cette «société pathologiquement dépendante d'Internet» qui «fonce tête baissée», laissant dans son «sillage nombre de victimes et de laissés-pour-compte». Dans ce carnet de rencontre curieux, on croise un psychiatre, le père d'une lycéenne disparue dans le naufrage du ferry Sewol (le 16 avril 2014, 304 morts), un rockeur, une transfuge, un religieux, un gyopo (Coréen de la diaspora), une avocate, une bédéiste… Emerge alors le portrait d'un peuple «contestataire et bagarreur», héritier d'une Corée solidaire, familiale et patriarcale chamboulée par la solitude des vies ultra-connectées et la toute-puissance du complexe militaro-industriel. En guide éclairé, Frédéric Ojardias revisite son pays d'adoption avec le regard d'un empathique «émerveillé et frustré».