Israël a inventé le «droit au retour», privilège exclusif et inaliénable des juifs de diaspora souhaitant s'y installer. Ce «droit», Pierre Assouline, le projette sur l'Espagne. Car Sefarad, en hébreu, c'est l'Espagne. Ce pays duquel les juifs qui décidèrent de ne pas abjurer leur foi furent expulsés en 1492, se dispersant majoritairement à travers les Balkans, avec également des incursions au Maroc. La légende court qu'un décret rabbinique aurait interdit tout retour dans cette terre ingrate avec une partie de ses enfants. Rien ne prouve qu'un tel décret ait jamais été prononcé. Mais pour mythologique qu'il soit, il en dit long sur la relation complexe des juifs avec l'Espagne après l'expulsion.
Pierre Assouline ne construit donc pas seulement son retour à Séfarad. Il «transgresse» aussi un interdit. Une double transgression, en fait, pour un juif né à Casablanca en 1954 qui va réinventer, à partir d’un fil généalogique ténu, son appartenance à ces descendants d’exilés sépharades qui, dans les Balkans, en Turquie et en Israël où ils ont émigré après la fondation de l’Etat, continuent tant bien que mal à parler leur espagnol archaïque, tout en perpétuant une culture populaire qui les lie à cette Espagne autrefois berceau du judaïsme.
C’est à partir de la loi du 30 novembre 2015, qui accorde en principe la nationalité espagnole aux descendants des exilés de 1492, que Pierre Assouline, l’auteur, tisse cette identité. L’acquisition de cette nationalité en deviendrait l’officialisation. Sauf que les embûches dressées sur le chemin par l’administration espagnole paraissent quasi insurmontables. L’auteur attend encore sa naturalisation. Il visite l’Espagne, physiquement, mais double ce périple d’un autre, érudit, fourmillant d’anecdotes, à travers sa littérature et son histoire, qui rend ce récit savoureux et unique.
Heureux celui qui, en cette ère du numérique et de son anonymat, n'hésite pas à chercher et à se chercher dans les livres, les récits et les mythes, pour se parer des habits d'un homme nouveau. Une renaissance ? Qui sait ? L'auteur cultive l'ambiguïté, empruntant à Romain Gary cette belle phrase qu'il applique pour sa part à l'Espagne : «Je n'ai pas une goutte de sang espagnol, mais l'Espagne coule dans mes veines.»