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Libération

Mon père, ce salaud

Pourquoi ça marche ?dossier
La quête de liberté de Turtle par Gabriel Tallent
publié le 23 mars 2018 à 18h36

L'enthousiasme des libraires pour le premier roman du jeune Américain Gabriel Tallent se traduit par le classement enviable de My Absolute Darling sur Datalib. On peut lire quelques-uns de leurs avis chaleureux sur le site de critiques et d'informations littéraires Onlalu. Aux Etats-Unis, ce thriller à partir d'un inceste père-fille (lire Libération du 3 mars) a remporté un éclatant succès, après que Stephen King a parlé de «chef-d'œuvre».

Né en 1987, Gabriel Tallent est le fils de l'écrivain Elizabeth Tallent, essentiellement auteur de nouvelles (elle a été traduite chez Actes Sud au début des années 90) ; le titre de son dernier recueil, paru en 2015, est Mendocino Fire. C'est à Mendocino que Gabriel Tallent situe l'intrigue de son roman. A la fin, il remercie «mes parents, Elizabeth et Gloria», qui sont aussi les dédicataires.

1- Qui parle ?

On ne quitte pas l'héroïne d'une semelle, on n'ignore rien de ses émotions, de ses sensations, mais on n'a pas pour autant affaire à un monologue intérieur. Cela permet à l'auteur d'esquisser le point de vue d'autres personnages, et surtout, d'user à volonté du prénom principal : Turtle - une vraie trouvaille. En réalité, Turtle, qui traîne ses 14 ans au collège, s'appelle Julia. Son père est Martin, ou Papa. Petite scène, au début, dans le bureau du proviseur. Le professeur d'anglais, Anna, qui s'intéresse à Turtle, suggère qu'elle voie un psy car elle a des relations exécrables avec les autres filles. Le père s'y oppose, pour se placer sur le terrain du travail scolaire. Turtle doit décrocher son diplôme, comment comptent-ils s'y prendre ? «Il regarde le proviseur Green. Une vague d'horreur déferle en Turtle, elle l'étouffe car elle se dit qu'elle ne comprend peut-être pas tout, et que Martin si. Elle pense, Qu'est-ce que tu fais, Papa ?»

2- Qui est le plus bavard ?

Ordinairement, ce sont les femmes qui s’expriment. Les personnages masculins des fictions américaines sont volontiers mutiques. Ici, c’est Turtle qui ne perd pas de temps en bavardages, sauf quand elle rend visite à son grand-père. Celui-ci s’inquiète pour elle, désapprouve l’éducation qu’elle reçoit, notamment les armes que son père lui confie, et tente d’en savoir davantage sur les attitudes crades qu’il soupçonne. Turtle défend son père : elle dit qu’il l’aime.

Le père est terrifiant - sadique, incestueux, criminel - mais ce n’est pas un imbécile. Il est cultivé et a des théories sur tout, l’obésité, le réchauffement climatique, le monde naturel en péril, et, malheureusement, sur la vie en autarcie.

3- L’amour peut-il se passer de mots ?

Le roman raconte le chemin semé de bûches qu'empreinte Turtle pour se libérer du joug paternel. La liberté naît une nuit, quand elle s'échappe dans la forêt, et tombe sur deux garçons un peu plus vieux qu'elle, des lycéens perdus qu'elle tire d'un mauvais pas. Le sentiment qu'elle va éprouver pour l'un d'eux est indissociable de l'attrait qu'elle trouve à leurs échanges la première fois qu'elle les entend. «Les garçons parlent d'une façon qu'elle trouve à la fois inquiétante et excitante - fantastique, légèrement jubilatoire et loufoque.» De sorte que si My Absolute Darling est indéniablement un roman mouvementé, qui émeut, qui fait peur, les mots y sont souvent plus importants que les actes.