Les romans de Marc Villard sont suffisamment rares pour que l'on ne passe pas à côté de celui-ci. Adepte des nouvelles noires, cet ancien graphiste s'aventure très peu sur les formats longs, il aime raconter les histoires comme on trace un coup de crayon, d'un geste, d'une traite ; pour lui, la vie est trop courte pour que l'on s'appesantisse sur le superflu. Les Biffins est un prolongement de Bird (Joëlle Losfeld, 2008), un texte dense qui mettait en scène un musicien de jazz dénommé Bird que sa fille croit mort, jusqu'au moment où elle découvre qu'il vit dans le plus grand dénuement, d'abris précaires en bancs publics. Elle-même connaît bien le monde de la nuit, quand les SDF reprennent possession des squares et des trottoirs, puisqu'elle est secouriste au Samu social.
Dans les Biffins, Cécile exerce la même activité, mais plus pour longtemps. «J'en ai marre du Samu social. Les nuits lancinantes, le froid, le manque de moyens et les thermos de café que j'avale sur les quais de la Seine, dans la brume et l'humidité», apprend-on dès le début. Elle ne se voit pas finir sa vie ainsi, à tenter de récupérer des paumés toujours plus nombreux, dans ce rythme décalé qui use son organisme et la coupe de toute vie sociale et amoureuse. Alors elle s'est portée volontaire pour aider les «biffins», ceux qu'on appelait autrefois les chiffonniers, qui récupèrent aujourd'hui le moindre objet parti à la casse ou aux encombrants pour le revendre sur le trottoir aux franges des puces de Saint-Ouen. Mais un incendie suspect et le meurtre d'un SDF vont lui faire regarder la vie sous un autre angle.
Marc Villard n’a pas son pareil pour raconter, dans un style ciselé et une langue des faubourgs, la vie de la rue, des paumés et des déshérités de la vie, de ceux qui subsistent de trois fois rien tel Lothaire qui, assis sur son pliant, se fait payer deux euros pour réciter le passage d’un livre érotique. Et quel passage ! Avec lui, on arpente les avenues de Paris, on se fond dans la masse des oubliés, de la rue Myrha à la porte de Saint-Ouen, on croise tous ceux qui squattent sous le métro aérien, trompent le froid sur une bouche de métro, et traînent leur misère de porche en quai de Seine. Des SDF mais aussi des réfugiés, des femmes battues ou abandonnées, des filles fatiguées. Un texte éclairant à l’heure où, afflux de réfugiés aidant, on n’a jamais autant parlé des drames de ceux qui vivent en marge de la société.