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Libération
Pourquoi ça marche

La danseuse boiteuse

Chute et résurrection par Agnès Martin-Lugand.
publié le 13 avril 2018 à 18h26

Pas un mot d'anglais ni d'allusion à New York, aucun humour non plus dans les titres. La liste des livres d'Agnès Martin-Lugand donne une idée de ce qu'elle écrit : Les gens heureux lisent et boivent du café, Entre mes mains le bonheur se faufile, La vie est facile, ne t'inquiète pas, Désolée, je suis attendue, J'ai toujours cette musique dans la tête. Deux millions d'exemplaires vendus, indique l'éditeur, Michel Lafon, qui a repéré l'auteur quand elle s'auto-éditait. Les couvertures se déclinent en noir et blanc : on voit une femme de profil ou de trois quarts dos. On la devine mélancolique. A la lumière du petit matin, sixième roman, raconte comment une danseuse se reprend en mains après s'être abîmé la cheville.

1 A qui s’identifier ?

Hortense, 39 ans, a un amant, un homme marié. Elle dirige une école de danse avec deux amis. Orpheline depuis quatre ans, elle se présente ainsi dès le second paragraphe : «Je n'avais rien d'original, avec mon amour infini pour mes parents.» Ils lui ont laissé la maison dans le Luberon, seule concession d'Agnès Martin-Lugand au snobisme en usage dans les best-sellers. Elle-même habite Rouen, ville à laquelle son livre fait penser, davantage qu'à Paris où il est censé se situer. Psychologue de formation, elle préconise un cheminement raisonnable. D'abord, tomber : «Je n'avais pas seulement trébuché dans l'escalier. Il y aurait des conséquences.» Ensuite, ne pas accuser celui qui a omis de poser une rampe : «Tout était de ma faute. Je venais de me saborder. De me détruire. Toute seule. Sans l'aide de personne.» Enfin, partir en vacances, penser à soi, avoir un but : «Etre moi, ne plus faire en fonction des autres.» L'existence d'Hortense était bancale : «J'ai réalisé que la liaison que j'entretenais depuis trois ans avec un homme marié ne rimait à rien, sinon à me faire passer à côté de ma vie, et pour une conne auprès de tout le monde par la même occasion.»

2 Une conne, dites-vous ?

Le langage est en effet volontiers relâché. Les collègues s’engueulent ou se claquent la bise, la narratrice s’interroge sur sa connerie, et on ne compte pas le nombre de fois où elle est dans la merde, ou se voit mettre le nez dedans. On parle comme dans la vraie vie, avec moult coucou et bisous au téléphone. En revanche, les scènes de sexe sont totalement floues.

3 L’amour est-il au rendez-vous ?

A la lumière du petit matin n'est pas sans évoquer les romans du magazine Bonnes soirées, aujourd'hui disparu. L'amant marié se conduit comme un mufle afin de laisser la place à une histoire d'amour pleine d'espérance. Voici qu'arrive chez Hortense un étrange individu, patibulaire, mais pas antipathique non plus. Il est en panne. Hortense fait chambres d'hôte. Et comme il serait malcommode d'ajouter les secrets de l'inconnu à l'intrigue, elle lit son journal intime quand il s'absente. Il était médecin. Un jour, il laisse tomber un petit papier représentant «un serpent rouge enroulé autour d'un bâton». «Vous êtes médecin ? Il fixait douloureusement le caducée, la main tremblante, les mâchoires contractées. - Avant, siffla-t-il entre ses dents.» Agnès Martin-Lugand a parfois des expressions que l'éditeur devrait redresser : «La graine du doute traçait son sillon», ou bien : «Le week-end fusa entre rires, lectures et jeux.»