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Libération
Critique

Jonathan Coe, onze de choc

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publié le 1er juin 2018 à 17h46

Il y a quelque chose de cocasse et de salutaire à lire Numéro 11 de Jonathan Coe tandis que l'Angleterre, tout au moins celle racontée par les tabloïds et autres JT, célèbre en grande pompe le mariage du prince Harry et de la starlette de la série Suits, Meghan Markle. «Roger était plein de théories, essentiellement je présume parce qu'il était payé pour ça… Quoi qu'il en soit, il pensait que chaque génération vit un moment où elle perd son innocence. Son innocence politique.» Dans une Angleterre post-Blair où résonnent les mots racisme, austérité, chômage, pauvreté et profit, marchandisation des sentiments, Jonathan Coe nous emmène, pour une promenade caustique et désenchantée, semée de personnages que semble relier le numéro 11 : le 11, Needless Alley (Allée superflue) pour les jeunes Rachel et Alison, le bus n° 11 pour Laura, chanteuse plus qu'éphémère et oubliée qui va se fourvoyer dans une émission de télé réalité, le 11e étage souterrain du projet immobilier mégalo d'une famille richissime, le container n° 11 où Roger essaie de retrouver le jardin de cristal de son enfance… Sans oublier le tueur d'humoristes, un flic situationniste. Et, centre névralgique, le meurtre ou le suicide de David Kelly, commissaire à l'ONU, alors que transpirent les mensonges sur l'intervention en Irak.

«Pour résoudre un crime anglais, commis par un criminel anglais, il faut considérer la "situation" de l'Angleterre elle-même.» Ce 11e roman kaléidoscopique de Jonathan Coe, qui fait écho à son Testament à l'anglaise, prend parfois un habit de conte gothique qui tournerait court et mal, parfois un air de satire sociale drôle et coléreuse, parfois les couleurs d'un récit intimiste…Il dresse avec tendresse et férocité un portrait multiforme de l'Angleterre d'aujourd'hui dont je me suis délectée à chaque page, comme de ces bonbons, anglais justement, dont la saveur tient à une pointe d'acidité.