Roman
Mark Greene Federica Ber
Quel genre de femme est assez magique pour persuader un garçon empoté de camper sur le toit d'un immeuble parisien, et pour entraîner dans une escalade sportive une architecte romaine atteinte de myopathie ? On verra même des chamois. Le narrateur fait la connaissance de Federica Ber dans une de ces salles de jeu qu'il y avait naguère du côté de Richelieu-Drouot. Rien de commun avec une banale créature de rêve. De dos, on dirait un garçon, elle est petite, cheveux courts, porte un blouson de cuir, des godasses impossibles. Il la retrouve, ou croit la retrouver, dans un journal, un fait divers. Deux architectes italiens ont été retrouvés morts dans les Dolomites. Leurs mains étaient liées. On soupçonne une certaine Federica Bersaglieri, vue en leur compagnie dans un restaurant. Plus que l'identification d'une femme, le roman est une enquête poignante sur ce qui subsiste de la jeunesse quand on croit l'avoir perdue. C'est aussi, en ce qui concerne l'amour, une chambre d'échos. Cl.D.
In Koli Jean Bofane La Belle de Casa
Le jeune Congolais Sese fonce dans les rues de Casablanca avertir le commissaire Daoudi : Ichrak est morte. C'est le premier qui dit qui l'est : Daoudi arrête Sese, il était le premier sur la scène de crime. Quelques mois plus tôt, Sese arrivait de Kinshasa. Son passeur lui avait promis de rallier Deauville où, c'est bien connu, se trouve l'ambassade d'Algérie. Le frère du passeur y réside. Qu'y fait-il ? «Tout». Dans un français qui mêle l'arabe et le darija, la langue vernaculaire du Maroc, la Belle de Casa décrit la cité marocaine. Les milliardaires s'y multiplient, la police doit cacher la misère. Depuis son cachot, Sese pense à Mobutu qu'il idolâtre. Le dictateur est mort alors que Sese était enfant mais sa passion lui vient de son père. Pendant que le commissaire enquête, Sese se souvient des «préceptes mobutiens» : «La corruption ? Mais c'est un produit d'importation !», «Le Zaïrois ne vole pas, il se déplace.» L'écrivain In Koli Jean Bofane est né au Congo en 1954. Il vit en Belgique. V.B.-L.
Matthias Jambon-Puillet Objet trouvé
Le roman se passe à Lyon, et commence en douceur avec le point de vue de Thibaut. Il est pompier, donc il est censé s'occuper des vivants. Ce coup-ci, il trouve une femme morte. Sabrina est ligotée dans une tenue de cuir, fesses et cuisses nues. Son sexe est enfermé dans une cage de chasteté. La mise en scène laisse Thibaut ébahi. D'autres ne vont pas tarder à tomber de haut. Ce premier roman varie les points de vue pour dérouler une intrigue qui ne compte que des victimes, consentantes ou pas : Nadège a un enfant de 3 ans avec un homme qui a disparu dans la nature lorsqu'elle était enceinte. Le voilà qui réapparaît. Il s'appelle Marc, il était lié à Sabrina. Que fera Antoine, le compagnon de Nadège depuis ces trois années ? Quelle est désormais sa place ? Objet trouvé fourmille de retrouvailles, de séparations et d'initiations. Le sujet est délicat et l'auteur, parfois, n'y va pas par quatre chemins, parfois reste elliptique. Les décisions des uns et des autres restent inattendues. V.B.-L.
Julie Estève Simple
Florence Biancarelli a été tuée d'un coup de fusil en 1987. Elle avait 16 ans, c'était la star du village et elle était enceinte. Trente ans plus tard, le village survit avec les mêmes protagonistes, Florence en moins. On est en Corse. Les comptes ne sont jamais apurés, ils se règlent à perpétuité. C'est le baoul qui raconte, qui monologue en promenant sa chaise. Lui, le simple d'esprit, s'est retrouvé en prison pour meurtre, parce qu'il a découvert le corps, et parce qu'il avait eu la prémonition du drame. Il avait un alibi et pas de témoin : il était chez lui, il dormait. Avec son langage tordu, sa vision déformée, ses souvenirs de tendresse qui n'aboutissent à rien, le baoul sait quand même faire la différence entre le rêve et la réalité. Tout le monde l'abandonne. On est résolument de son côté. Cl.D.
Nina Bouraoui Tous les hommes désirent naturellement savoir
«J'appartiens à deux pays.» L'auteur de la Voyeuse interdite (prix du Livre Inter 1991) revient sur son enfance en Algérie, qu'elle a quittée en 1981, à 14 ans. A Rennes, ses grands-parents maternels, dentistes, lui sont étrangers, tout comme sa famille paternelle et sa grand-mère algérienne. A Paris, le Katmandou, boîte réservée aux femmes, l'initie bientôt à un autre monde. A 18 ans, elle vit seule. Ce nouveau roman autobiographique, archéologie d'une homosexualité, alterne les chapitre «Devenir», «Se souvenir» et «Savoir». «Etre», c'est pour plus tard. Cl.D.
Philosophie
Elías José Palti Vérités et savoirs du marxisme
On ne dit pas grand-chose en parlant de «crise contemporaine du marxisme», puisque de la notion de crise celui-ci a fait son moteur historique, et qu'un «marxisme dépourvu de tensions ne peut exister que comme paradigme évanescent» (José Sazbón). De l'extérieur, c'est plutôt la fin, la mort de la pensée issue de Marx - celle qui devait constituer l'«horizon indépassable» - qu'on proclame. Professeur à l'université de Buenos Aires, Elías José Palti interroge la valence de cette «crise conceptuelle» - qui pourrait tout aussi bien indiquer la crise du… concept de crise ! -en radiographiant les œuvres des «penseurs les plus influents du marxisme contemporain», Nahuel Moreno, Alain Badiou, Perry Anderson, Fredric Jameson, Ernesto Laclau et Slavoj Žižek. Aboutit-on à l'idée qu'il serait possible de «renouer avec la perspective que triomphe le socialisme» ? Comme l'écrit Aymeric Monville, «il est trop tôt pour le dire». R.M.