Ce que ce mauvais père avait de meilleur, de bon même, c'était son attachement au makila. Il s'agit d'un bâton de marche basque transmis traditionnellement de père en fils. Il est taillé dans le bois d'un néflier et cache une surprise : «Il faut examiner de près la dague qui se situe sous le pommeau. A cet endroit, en effet, le makila se dévisse et laisse apparaître une pointe acérée de dix centimètres de long.» Elle sert à se défendre si l'on rencontre un ours dans les Pyrénées. Le prix que le père de l'auteur accorde à cet objet, qu'il lui offre, est d'autant plus touchant que cet homme semble par ailleurs étranger aux affects. Mais face au makila, l'honorable conseiller d'Etat se réveille, et vit.
François-Xavier Delmas raconte dans Ma Vie de saint le «peu d'estime» qu'il avait pour son père, géniteur de sept enfants qu'il voussoyait et auxquels il ne parlait quasiment jamais. D'eux, il ignorait tout. Le livre est l'excellent portrait d'une famille française «bourgeoise et catholique» qui ne ressemble pas à toutes les autres. Dans un genre différent, elle est aussi particulière que la famille dont Christophe Boltanski a dressé le portrait dans la Cache. André était un être d'habitudes proche de l'obsessionnel. Il n'était pas gourmand, travaillait sur ses dossiers dans la cave sombre de l'appartement, était incapable de voyager, parlait le moins possible à quiconque, n'avait aucun ami et tapait ses enfants. La mère aussi les frappait, mais elle était plus fantasque que le père. Elle éprouvait envers sa progéniture la même indifférence que son mari et elle respectait un prêtre pédophile qu'elle invitait à la maison en connaissance de cause, mais en faisant l'autruche. Puis, un beau jour, cette femme s'est métamorphosée. Elle s'est enfin accordé une vie sexuelle, avec des femmes, et s'est passionnée pour la psychothérapie neurolinguistique : «Imaginer notre mère en psy représentait pour nous un sujet d'une hilarité incomparable.»
Ma Vie de saint porte ce titre car le prénom de l'auteur est celui du saint, né au pays basque. François-Xavier Delmas part sur ses traces. Le livre entremêle le récit d'une enfance particulière et une agréable biographie du Compagnon de Jésus. Delmas se rend à Javier en Navarre, où naquit le saint homme ; à Lisbonne puis à Nagasaki où il fonde la première communauté chrétienne du Japon. L'auteur rappelle que c'est en 1854 que ce pays lève l'interdiction d'être chrétien. Les reliques du jésuite sont réparties dans plusieurs villes : son bras s'est baladé de Bayonne à Rome. Delmas termine par Goa. Ici comme ailleurs, il en profite pour rencontrer des hommes dans des lieux obscurs. Avant Ma Vie de saint, François-Xavier Delmas écrivait pour des guides touristiques. Né en 1962, fondateur de la marque le Palais des thés, il voyage très souvent pour sélectionner les thés. L'idée et l'envie de cette enquête lui furent données par son père aujourd'hui décédé : «Monsieur, pourquoi n'écrivez-vous pas un livre sur saint François-Xavier ?» lui avait-il demandé. C'est fait. Il est décidément bien difficile de se débarrasser d'un père, ou d'une mère.