«Cent trente-six pages de sueur, de sang et d'eau bénite», annonce Olivier Texier sur son blog. «Euh, il y a un peu de sperme aussi», précise-t-il aussitôt. Rarement la SF est allée aussi loin dans le trash absurde que cette Héroïque Fantaisie du dessinateur nantais. Affrontements sanglants, membres coupés, boyaux sortis des abdomens, monstres aux gueules de lamproie, scènes de sexe explicite (exclusivement entre garçons) à chaque double page. C'est Mad Max croisé avec le Sade des 120 Journées. La horde des Garçons sauvages de Burroughs dans l'ouest de la France (et sans la drogue).
Dans une Vendée post-apocalyptique − du département il ne reste que quelques masures, des carcasses de voitures et toujours l’abondance des noms finissant en «eau» −, des groupes d’humains survivent entre deux attaques de démons. Les héros, tous des hommes, sont (à peine) habillés de mini-shorts ou slips moulants. Parmi eux, Moreau est un chasseur adepte d’un étrange culte à la Vierge Marie et d’un code d’éthique pseudo-chevaleresque. Entre deux combats à l’arme blanche, il s’envoie en l’air avec son ex ou son nouveau protégé et s’interroge sur ses sentiments.
Le tout peut se lire comme la parodie torture-porn de Ken le survivant mâtinée d'une blague de potache d'un Nantais visant les Vendéens, traditionnellement vus comme des culs-bénits un rien arriérés par les urbains intellos de la cité des ducs. Les bobos, eux, avaient eu leur dose dans le précédent volume de Texier chez les Requins Marteaux, Bite-Fighter, dans lequel un couple de catcheurs gays avait pris sa retraite pour se mettre à la permaculture.
Héroïque Fantaisie est aussi et surtout un nouvel épisode de la vaste uchronie développée par Texier au fil des strips publiés dans ses albums et tous les mois dans Fluide glacial : un monde qui a complètement sombré, des situations qui mettent mal à l'aise autant qu'elles excitent ou font rire.
Sous un gros trait noir et bancal − il dessine au feutre −, l’auteur met en scène des personnages amputés qui se traînent parmi des ruines, des hybrides atroces, des solitaires glauques, des cruautés diverses. Il y a ici la même jouissance du crade que dans un film gore. Mais le sexe, bien que très cru, y est au contraire solaire et toujours plus ou moins lié à un amour entre les protagonistes. Trash, mais sentimental.