Peut-être que seul un Belge, né à Bruxelles, pouvait écrire ce livre. Marc Roche, ancien correspondant du Monde et du Point au Royaume-Uni, vit depuis une trentaine d'années à Londres. En affirmant que Le Brexit va réussir, il s'est lancé dans un exercice de haute voltige, à contre-pied de l'analyse de la plupart des experts qui prévoient des conséquences douloureuses. Marc Roche, devenu entre-temps britannique, use d'arguments surprenants. Alors qu'il souligne sa profonde admiration pour le Royaume-Uni et son modèle de démocratie, il en dresse aussi un portrait peu flatteur. Duplicité diplomatique, dissimulation, champion de l'optimisation fiscale, indifférent aux inégalités sociales, la liste s'articule de chapitre en chapitre. Et c'est justement grâce à ces traits peu engageants, estime l'auteur, que le pays se sortira très bien de cette crise historique. «A court terme, le Royaume-Uni souffrira. Mais dans l'avenir, il sera libre de se forger un nouveau destin, à la fois plus britannique et plus planétaire», explique-t-il, reprenant là mot pour mot un refrain cher aux plus ardents des «brexiters».
«Darwiniens». Pour Marc Roche, une fois consommé le divorce avec l'Union européenne, «la mise en musique de l'accord de libre-échange devrait favoriser l'Angleterre». Les «ports et aéroports des Vingt-Sept vont se battre pour accueillir les exportations et importations britanniques en faisant des conditions avantageuses au Royaume-Uni à l'abri des regards», et le pays deviendra rapidement un Singapour-sur-Tamise, estime-t-il : «La City deviendra, sans coup férir, le nouveau sanctuaire mondial de la banque de l'ombre.»
D'ailleurs, rappelle-t-il, même les finances de la reine Elizabeth II sont un peu douteuses, comme l'ont révélé les Panamá Papers. La souveraine, dont il a écrit la biographie, est omniprésente dans le récit. Armé de sa plume toujours truculente, Marc Roche lui prête des pensées originales, mais tout à fait hasardeuses. Il en est convaincu, Elizabeth II est en faveur du Brexit. Sauf qu'il n'en sait rien, vu qu'elle ne s'exprime jamais. Pour lui, elle incarne l'un des plus puissants volets de ce qu'il appelle le «soft power» du pays. Universités prestigieuses, musique, royauté, séries télévisées à succès sont autant de forces qui, à l'en croire, ne devraient absolument pas souffrir des conséquences du Brexit. Certes, note-t-il, le système de classes sociales est plus prononcé que partout ailleurs en Europe, les inégalités plus creusées, mais c'est parce que «les Britanniques ont toujours été darwiniens. Les sujets croient dur comme fer à la loi du plus fort».
Cri de rage. «Le Royaume-Uni n'a jamais été comme la France un pays vivant dans le mythe de l'égalité. Au contraire, le pays a toujours privilégié les inégalités, qu'elles soient sociales, économiques ou régionales.» C'est sans doute là que sa démonstration habile trouve ses limites. Marc Roche a longtemps couvert la City de Londres. Il ne peut ignorer que près de la moitié du pays (48 %) a voté en juin 2016 pour rester dans l'Union européenne. Et que le vote de l'autre moitié (52 %) n'avait finalement que peu à voir avec l'Union européenne.
Nombre de ces «leavers», notamment dans les anciens bassins industriels du nord du pays, ont lancé un cri de rage contre le creusement des inégalités, contre le sentiment d'être restés plantés au bord du chemin sans percevoir depuis vingt ans le moindre changement dans leur niveau de vie. Pas sûr qu'ils apprécient un Brexit qui réussisse de la manière dont Marc Roche l'envisage dans son ouvrage. Il conclut en prédisant le centenaire de la reine (elle a 93 ans), «dans un royaume régénéré, confiant en lui-même et prospère». La question est : prospère pour qui, et à quel prix ?