Menu
Libération
Critique

Vient de paraître

publié le 9 novembre 2018 à 19h26

Récits

Laurent Joffrin Dans le sillage de l'invincible Armada

Le 22 septembre 1588, l'Armada est de retour à Santander dans un piteux état. Sur cent trente navires, il en reste soixante. «Quelque quinze mille soldats et marins espagnols ont disparu dans cette odyssée.» Deux mois plus tôt, le duc de Medina Sidonia, qui n'avait jamais commandé de bateau, a une mission : remonter vers Dunkerque, protéger le passage des troupes du duc de Parme, débarquer, marcher sur Londres et renverser la reine Elizabeth I, la protestante. Les Anglais, Francis Drake en tête, ont l'expérience des corsaires ; leurs canons sont plus longs et tirent plus loin. Quelques siècles plus tard, le directeur de la rédaction de Libération, qui aime autant la mer que l'histoire, est parti, à bord de son voilier, sur les traces de ces batailles navales. Au fil du récit, une leçon de navigation, des souvenirs, et quelques héros. Cl.D.

Arrigo Lessana Nos conversations du mercredi

Angelo «avait onze ans quand sa mère a disparu, envahie par une sale maladie. Il en a treize aujourd'hui». La mère d'Angelo était la fille de l'auteur, chirurgien du cœur. Le grand-père et le petit-fils confrontent leurs domaines de compétence. Comment savoir ce qu'on fera plus tard ? Est-on devenu celui qu'on croyait ? Incursion dans l'arbre généalogique, souvenirs de vacances, séjour à Londres, rencontres du mercredi : un partage, léger, grave, enrichissant. Cl.D.

Romans

Ilarie Voronca La confession d'une âme fausse

Le narrateur, un employé mélancolique, se fait poser par un chirurgien une âme artificielle. En cette période de guerre (ce texte de fiction a été publié en 1943), «nous avons tous les jours une excellente récolte d'âmes», se félicite le docteur, qui lui greffe celle d'un soldat comme on pose une dent. L'âme fausse se plaint bientôt de se retrouver enfermée dans un bureau sombre toute la journée et dans une médiocre carcasse, hantée qu'elle est par les souvenirs des grands espaces et d'une belle amoureuse pianiste. Ce court roman du poète roumain Ilarie Voronca, exilé à Paris, résistant pendant la guerre et suicidé en 1946, mêle fantastique, surréalisme et revisite le mythe d'Orphée et d'Eurydice. Voronca, ami de Victor Brauner, de Ionesco, Chagall ou Soutine, s'était mis à rédiger en français à cette époque. La Confession d'une âme fausse, qui n'avait jamais été réédité, est illustré ici par une belle série d'images des années 30, baignant dans une atmosphère étrange et spirite. F.RL

Juliana Léveillé-Trudel Nirliit

La toundra du Grand Nord, ses mois sans lumière et le froid assassin de ses beaux paysages, vus par une visiteuse venue de Montréal. Le Québec est aussi exotique pour le «grand territoire» que l'est ce dernier pour les habitants de la grande ville, «les Blancs», comme les appelle l'auteure québécoise dont Nirliit est le premier roman. Elle égrène les différences, celles qui concernent la langue notamment. Le français québécois n'a pas tous ces q et ces k. «Toboggan» et «kayak» viennent du Grand Nord, et les Blancs ne chassent pas le caribou. Tout n'est pas merveilleux, là-haut, loin de là. L'alcoolisme et les enfants non désirés abîment des existences. Les armes à feu très répandues y mettent fin. L'espace et les maisons manquent, bien que le territoire soit immense. Malheur à ceux qui s'attachent aux chiens, les huskys aux yeux bleus, car ils meurent jeunes. Les Blancs aussi font des ravages, lorsqu'ils débarquent pour s'encanailler. V.B.-L.

Isabelle Desesquelles Je voudrais que la nuit me prenne

Ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains. Il démarre telle une mélodie du bonheur dans le foyer d'une enfant, Clémence, que ses deux parents couvent d'un regard aimant et malicieux, le moindre coquillage devenant source de jeux et de rêves. Et puis un drame se produit, nous ne dirons pas lequel car la deuxième partie du roman repose sur cet événement. Et l'on passe dans une autre dimension, la boule au ventre. Le début du livre devient un souvenir lointain et nostalgique, parfois douloureux, comme l'est l'évocation de son enfance pour un adulte. «J'ai été le témoin de la multitude de commencements entre cette femme et cet homme, mes parents. […] De leur amour j'ai fait un lasso, je m'entraînais à le lancer le plus loin. Et les chansons ont été un métronome dans ce chaudron des émotions.» Sous la plume d'Isabelle Desesquelles, il n'y a pas de commencement sans fin. A.S.

Roman graphique

Harper Lee Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur (1960) est un titre mythique, enseigné dans les classes américaines et vendu à plus de 40 millions d'exemplaires dans le monde. Le roman de Harper Lee (2016) a été adapté au cinéma (Du silence et des ombres) et a connu de nombreuses éditions. Cette version graphique du jeune illustrateur anglais Fred Fordham restitue la fraîcheur, la tendresse et les frissons des jeux de la petite bande d'adolescents de Maycomb, petite ville fictive de l'Alabama des années 30. Atticus Finch, le père de Jem et de Scout la narratrice, a décidé en avocat intègre de défendre Tim Robinson, un Noir accusé injustement du viol d'une Blanche. «Ce n'est pas parce qu'on est battu d'avance qu'il ne faut pas essayer de gagner», dit Atticus à Scout, exposée aux quolibets racistes. La transposition dialoguée, qui n'élude pas le terme de «nègre», donne un coup de peps au récit. F.Rl

Sociologie

Jeffrey Herf Le modernisme réactionnaire. Haine de la raison et culte de la technologie aux sources du nazisme

Entre le moment de sa publication en Grande-Bretagne (1984), et celui de sa traduction française tardive, cet ouvrage est devenu en Europe et aux Etats-Unis un classique. Ce n'était pas gagné d'avance, car, en général, on considère que la «réaction» est antimoderniste en ce qu'elle se réfère à un passé mythique, au culte de la tradition, à un sang et une terre originels et purs, et donc que l'idéologie nazie aurait été une «révolte politique et culturelle contre la modernité». Jeffrey Herf, professeur émérite à l'université du Maryland, parle au contraire, en explorant les sources idéologiques, philosophiques, politiques et sociales de la pensée d'extrême droite et du nazisme, d'un «modernisme réactionnaire», traduisant un attachement enthousiaste aux technologies les plus avancées et non à une «haine de la technique». Le souci constant des intellectuels conservateurs allemands, d'Oswald Splenger à Ernst Junger, de Carl Schmitt à Hans Freyer et Werner Sombart, a été ainsi de réaliser une sorte de «conciliation» entre modernité et tradition, progrès technique et valeurs aristocratiques, élites culturelles et armée. C'est la complexité et l'aspect problématique d'une telle conciliation qu'analyse Herf, sous l'angle historique, sociologique et politique, en se référant à l'Ecole de Francfort. R.M.

Psychanalyse

Sarah Chiche Une histoire érotique de la psychanalyse

Sous-titré «De la nourrice de Freud aux amants d'aujourd'hui», cet ouvrage se propose de «montrer comment, dès le départ, les femmes ont fait l'histoire de la psychanalyse comme théoriciennes, créatrices et penseuses», inspiratrices, initiatrices, ou bien, ainsi que Freud le dit de sa nounou (dont on ne connaît pas le nom avec certitude), comme «professeurs de sexualité». En fait, sous la loupe de la psychanalyse, et du transfert en particulier (Sarah Chiche est écrivaine, psychologue clinicienne et analyste), ce sont des histoires de sexe et d'amour qui sont racontées et étudiées, de désir et de jalousie, d'inhibition et de libération, de rupture et de reconstruction, d'alcôves et de divans, de plaisir et de folie - et de «cinquante nuances de néosexualités». Chacun y retrouvera des détails ou des pans entiers de sa propre «expérience amoureuse et érotique» : mais ici les «personnages» se nomment Mélanie Klein ou Virginia Woolf, Anaïs Nin (qui «voulut mettre la psychanalyse en échec en couchant successivement avec René Allendy et Otto Rank»), Sabina Spielrein (dont l'histoire avec Carl Gustav Jung a été popularisée par le film de David Cronenberg, A Dangerous Method), Lou-Andreas Salomé, Joyce McDougall, ou Catherine Millot, «l'autre "aimée" de Lacan»… R.M.