En 1994, les jeunes éditions Gaïa, créées dans les Landes par Bernard Saint Bonnet et Susanne Juul, publient le premier tome d'une trilogie, le Livre de Dina. L'auteur, la Norvégienne Herbjørg Wassmo, est très connue dans son pays, mais pas en France, où la parution de la Véranda aveugle (Actes Sud) a inauguré sans grand bruit, en 1987, une autre série, la Trilogie de Tora. Toute personne qui a un jour découvert le Livre de Dina se souvient de son enthousiasme, pas forcément du roman lui-même. Outre le riche papier rose saumon dont Gaïa a fait sa marque à l'époque (avant d'en venir à du papier crème), qu'est-ce qui reste en mémoire ? Le feu et le froid, la dentelle et le fer, une femme imprévisible, un comptoir d'autrefois sur la côte nord de la Norvège… L'intrigue se passe au XIXe siècle. Une petite fille, Dina, un jour de lessive, ébouillante sa mère qui en meurt. Rejetée par tous, à commencer par son père, l'enfant devient une sauvageonne. Seul un précepteur sensible parvient à l'apprivoiser en lui inculquant le goût de la musique. Il en fait une violoncelliste. Puis Dina est mariée à un riche armateur. Un mariage arrangé, mais il tient. Jusqu'au moment où Dina tue son époux et déguise le meurtre en accident de traîneau. La scène constitue le prologue de l'histoire de Dina, qu'on verra accéder à la fortune, au pouvoir, à la tête du domaine de Reinsnes. Les désirs de Dina sont des ordres, ses sentiments un désordre indescriptible. Quand elle ne gère pas ses affaires, elle se jette à corps perdu dans le brasier de l'érotisme, prenant toujours l'initiative, femme folle, femme forte.
Continuellement ramenée par ses lecteurs à ce Livre de Dina, Herbjørg Wassmo - qui a publié bien d'autres romans depuis - a décidé d'écrire la suite. Voici le Testament de Dina. Il s'ouvre en 1890 sur les obsèques de l'héroïne, disparue dans l'incendie qui a ravagé Reinsnes. Un des beaux-fils de Dina, son amant d'une nuit (avec qui n'a-t-elle pas couché ?) est le pasteur qui officie. Voici que la petite-fille de Dina, Karna, s'avance dans l'église et lit un étrange message testamentaire, quelques lignes où la défunte s'avoue meurtrière. Est-ce de cette intervention que Karna ne se relève pas ? Mutique, semblant ne reconnaître personne, ni son père, le bon docteur Benjamin (fils de Dina), ni sa belle-mère Anna, qui l'a élevée, Karna est emmenée par cette dernière à l'asile de Copenhague où elle devient complètement folle, comme en témoigne son monologue intérieur. Elle a 17 ans.
Anna, fille d’un chirurgien danois, veille sur Karna tout en s’émancipant de son milieu bourgeois. Elle veut un endroit à elle, un métier. Benjamin la rejoint, mais entre-temps elle s’est éprise du psychiatre de Karna. Le roman comme les personnages ont perdu la protection de la maisonnée de Reinses. Vers la moitié du livre le talent de Wassmo est de retour, et ça devient très beau : une femme, deux hommes, un trio solidaire pour tenir tête à la folie.