Emmie et Paul. Cela fait penser à Paul et Virginie. Emmie et Paul étaient partis au bout du monde, sur une île, pour se retrouver. L'année suivante, ils décident de retourner au même endroit. Marie-Galante. «Le pays de nos désirs, un rêve, une folie», dit la chanson de Kurt Weil. Dans la chanson, ce bout du monde se nomme Youkali. Youkali, c'est Marie-Galante. Mais la chanson se termine mal : il n'y a pas de Youkali.
C’est Emmie qui raconte. Elle raconte l’année de deux tourtereaux entre leurs deux séjours à Marie-Galante. Ce récit est un film, un montage. Il est vif, quelques dialogues, des SMS ou des téléphonages lorsqu’ils sont séparés, pas de longues descriptions, mais des instantanés, des photos brièvement légendées, c’est un album qu’on feuillette.
Paul est éditeur, un éditeur qui passe son temps à lire des manuscrits que des inconnus lui envoient par la poste. Quoi d’étonnant, direz-vous ? Vous pensez que tous les éditeurs font ça, que c’est leur métier. Détrompez-vous, il était le seul. Des éditeurs comme lui, s’il y en eut jamais, il n’y en a plus. Le moule est cassé.
Emmie est peintre, elle observe, elle mémorise. Elle écrit aussi, ce livre est son septième. Elle sait capter un échange, noter une repartie. Exemple, Paul dit : «Tous les livres que je publie sont vivants, c'est comme s'ils avaient du vent dans les cheveux.»
Anne Portugal, l’un des auteurs que Paul Otchakovsky-Laurens a révélés, disait de lui à la radio : Paul, c’est la nouvelle vague. Elle a raison. On les imagine tous les deux, à bord d’une décapotable, comme Belmondo et Jean Seberg, du vent dans les cheveux, allant au marché de Marie-Galante chercher le poisson qu’ils allaient griller pour leur dernier dîner avant le retour à Paris, ce 2 janvier 2018. Juste avant que le destin ne surgisse sous la forme d’une voiture qui percute la leur de plein fouet. Paul !
Le livre se clôt sur ce prénom suivi d’un point d’exclamation.
P.O.L était mon plus ancien et mon meilleur ami. En 1964, nous étions ensemble sur les bancs de la fac de droit. Il est devenu le grand éditeur que l'on sait parce qu'il aimait le vent dans les cheveux et n'en démordait pas. L'année 2017 s'était terminée sur la sortie de son film Editeur qui commence par notre rencontre. Il était heureux comme un oiseau. Et puis il y a eu arrêt sur image. A Marie-Galante. Il reste une trajectoire hors du commun qui devra lui survivre et ce petit livre, juste, frémissant, pudique, et, pour moi, mais je sais que nous sommes nombreux dans ce cas, très émouvant.