Deux femmes. Reliées par le fil de la mort. L'une essaie de faire le deuil de la plus jeune de ses deux filles, disparue tragiquement. L'autre est une tireuse d'élite chargée d'éliminer des criminels de guerre au sein des services secrets. La première se raccroche à la fille qui lui reste, guettant le bruit de l'ascenseur et meublant le silence de l'appartement avec le son de la radio. «Une vie à essayer de tenir droite. Tomber. Ne pas vouloir me relever. Me relever tout de même, mal au dos, mal au ventre mais me relever», écrit Denis Soula. Seule la moto, une Kawasaki achetée d'occasion, l'empêche de penser. «C'est vrai, pendant que nous roulons, il y a tant de choses à surveiller, ma passagère, les pierres sur le bas-côté, les voitures qui surgissent, la vitesse, les tournants, la lumière qui disparaît entre les arbres et réapparaît soudain en nous éblouissant, que je ne gamberge pas plus loin que le bout de mes roues.»
La seconde est issue d'une famille riche, de droite. Elle a été recrutée par un homme proche de Charles Hernu, le ministre de la Défense de François Mitterrand. Les chasses en Sologne lui ont appris à viser juste, à tirer. Elle sait contrôler ses émotions. «Je vis avec les morts. Je vis avec ceux que j'ai exécutés. Ils rôdent. Quand je marche le long des canaux, j'aperçois leurs silhouettes sur l'autre rive. Ils me font signe, lèvent la main, puis chutent au ralenti, se mêlent aux eaux sombres, meurent de nouveau. […] J'attends qu'ils m'annoncent l'heure à laquelle une balle les vengera en perçant mon cœur.»
Un jour, ces deux-là vont se rencontrer. La tireuse d’élite recherche l’auteur de l’attentat contre le Drakkar, à Beyrouth, qui a tué autrefois des dizaines de militaires américains et français. L’homme vit désormais en France avec ses deux fils. La mère endeuillée, elle, voit avec plaisir sa fille revivre grâce à la compagnie de deux jeunes garçons libanais qui jouent de la flûte et de l’oud.
C’est un roman noir qui raconte la mort et la vie de ceux qui restent, l’histoire de deux femmes que tout sépare si ce n’est la solitude, et que le destin va réunir. Un beau texte, dur mais empreint de douceur.
Deux femmes, Denis Soula, Joëlle Losfeld Editions, 112 pp, 12,50 euros.