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Libération
Critique

La rupture de ton de David Foenkinos

«Deux Sœurs» et un chagrin d’amour
publié le 8 mars 2019 à 19h06

Qu'est-ce qu'un roman invraisemblable ? Si c'est un roman qui ne répond pas aux codes du strict réalisme, alors Deux Sœurs, comme tous les romans de David Foenkinos à l'exception de Charlotte, est invraisemblable, et cela n'a aucun sens de le lui reprocher. S'il faut entendre par là un roman nul d'extravagante manière, alors, non, ce n'est pas le cas de celui-ci, qui est certes un peu extravagant, mais pas nul. Il est meilleur que le Mystère Henri Pick, dont l'adaptation au cinéma par Rémi Bezançon accompagne la sortie de Deux Sœurs.

En 2017 sortait dans les salles un autre film, Jalouse, réalisé par David Foenkinos et son frère Stéphane. Le présent roman en reprend quelques éléments - du moins, pour autant qu'on puisse en juger, n'ayant pas vu le film en question. L'héroïne, bientôt l'antihéroïne Mathilde Pécheux, a le même nom et la même profession, professeure de lettres, que celle de Jalouse. Si on a bien compris, il s'agit dans les deux cas d'un changement radical de personnalité.

1 Que fait la femme rompue ?

Quittée sans raison par Etienne alors qu'ils allaient vers le mariage, Mathilde voit un gouffre s'ouvrir à ses pieds. Etienne lui-même avait été dévastée par sa rupture avec Iris, partie pour l'Australie sans lui donner de véritable raison de le quitter. Pour rompre avec Mathilde, Etienne n'a pas besoin de raison. Iris est revenue. Il ne répond pas à ses messages, jusqu'au jour où, à cause d'un malentendu avec Mathilde, il déjeune avec Iris, et c'est reparti. «Elle avait vécu, il avait mûri.» Plus-que-parfait ou bien présent, prédilection pour le passé simple : l'usage des temps, dans Deux Sœurs, renvoie à la littérature classique ainsi qu'aux voix off des films de Truffaut. Premier pas vers l'irréparable, Mathilde gifle un élève.

2 Est-elle jalouse ?

«Elle passait des heures sur le profil Instagram d'Iris, observant les photos de son ennemie, à en devenir folle.» Mathilde est obsédée. «Il n'y avait plus que des Iris partout.» Amusant jeu de regards. Mathilde sonne en pleine nuit chez la voisine pour se faire prescrire des substances apaisantes. Elles sont amenées à se revoir. «Elle voyait une forme de réjouissance dans l'iris de la psychiatre. Cette femme, sous ses airs désolés, se réjouissait sûrement du malheur des autres.» En réalité, Iris renvoie à un passé plus lointain. Le drame survient quand Mathilde s'installe chez sa sœur, version moderne du coucou. La sœur a tout : un toit, un mari, un bébé. La jalousie cède alors la place à son versant cinglé : l'envie.

3 Est-ce une raison pour bâcler le travail ?

Dans ce roman agréablement amer, qui malmène sans cynisme les bons sentiments (c'est rare chez les auteurs de best-sellers), il est intéressant que David Foenkinos éprouve le besoin d'user et d'abuser de l'adjectif «bienveillant». Malgré tout, quatorze occurrences dans un texte plutôt bref, c'est trop, c'est agaçant. Du coup, on relève des détails qui auraient pu être rectifiés. Mathilde guette sa rivale rue de La Fidélité dans le Xe arrondissement, et la voit qui «remontait vers Pigalle». A vol d'oiseau, d'accord, mais elles sont à pied ! Et les lecteurs et lectrices de Foenkinos ne risquent-ils pas de froncer le sourcil quand Mathilde laisse un billet de 50 euros pour un café, sans attendre la monnaie ?