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Libération
Critique

Vient de paraître

publié le 15 mars 2019 à 17h06

Romans

Olivia Resenterra Nécrologie du chat

Une concierge en blouse bleue et gilet gris par-dessus, un automobiliste trop empressé dont la gouvernante est moins aimable, une famille à bicyclette, un cimetière pour animaux avec gardien et tarifs, deux voyous assassins, un renard et retour à la case départ. Un matin d'hiver, une femme sort de chez elle avec une caisse à la main. Elle voudrait se débarrasser correctement du cadavre de son chat, l'enterrer avant qu'il pourrisse, mais personne ne l'aide. On panique vite. Cl.D. 

Gyrðir Elíasson Au bord de la Sanda

Il est islandais, en âge d'avoir un fils d'une vingtaine d'années. Il a un caractère insupportable, mais de l'autodérision. Il est peintre. Sa vie d'artiste a éloigné de lui ses amis, et il ne met pas du sien pour les retenir, «croyant dur comme fer que l'art suffit à compenser l'absence de relations humaines». La solitude lui pèse autant qu'il la cultive. Dans ce récit proche du journal intime, il est question d'un été et d'un automne passés devant la Sanda pour peindre les arbres et seulement eux. Cette rivière glaciaire traverse une forêt poussée à l'ombre d'un volcan. Le peintre s'est installé sur un terrain qui la surplombe avec deux caravanes, l'une pour dormir, l'autre pour entreposer la térébenthine, les châssis et les pinceaux. L'après-midi il pense à Chagall, Basquiat et Van Gogh, plus tard aux conifères, puis à ses parents. Le matin lorsqu'il prépare son café, son «subconscient est en éveil au cas où tout sauterait en l'air - ce qui rend le café encore meilleur quand il est enfin chaud, sans catastrophe». V.B.-L.

Robin MacArthur Les Femmes de Heart Spring Mountain

Il y avait déjà, dans les nouvelles de MacArthur, le Cœur sauvage (2017), une alliance peu banale entre l'amour des paysages du Vermont et le goût des livres. Une des femmes de ce premier roman qui se promène dans plusieurs époques est fan de Grace Paley, dont elle recommande les poèmes autant que les nouvelles. On est en 2011, l'ouragan Irene a ravagé la région. Une jeune femme apprend que sa mère est portée disparue, revient en ces lieux qu'elle a fuis des années auparavant et dénoue un secret de famille. Cl.D.  

Imma Monsó L'anniversaire

Une araignée mygalomorphe et une baleine sont au cœur de ce roman, qui déploie deux histoires apparemment parallèles. D'un côté un couple adulte hétérosexuel battant de l'aile, de l'autre un duo de jeunes garçons dans une campagne perdue. Raquel est «une sorte de traductrice de poésie sans lecteur», elle manipule les vers dans sa tête «pour calmer des images trop vives». Son mari l'ennuie (il est «prévisible comme une pendule»). Tous deux s'enferrent dans le silence, jusqu'à un anniversaire de mariage qui prend la direction d'une farce macabre. Mateu et Guillem sont deux enfants parfois livrés à eux-mêmes, dépassés par les jeux où les entraîne leur amour de la lecture, et en particulier de Moby Dick. Un livre construit impeccablement, sur le pouvoir de l'imagination et son rôle d'électrochoc sur le réel. F.F.

Récit

Gianmaria Testa De ce côté-ci de la mer

Chef de gare et chanteur, Gianmaria Testa (1958-2016) évoque son enfance de petit paysan du Piémont («Enfant, j'ai pu encore apprendre à semer le blé à la main»), raconte comment il a démissionné des Chemins de fer pour se consacrer à la musique, et se souvient de Jean-Claude Izzo, le romancier marseillais. Il réfléchit surtout, dans ces récits entrecoupés de poèmes, à ce que signifient aujourd'hui les déplacements, l'émigration, l'exil. Par exemple, «l'Italie est en train de devenir un pays d'immigration après avoir empli la moitié du monde d'émigrés». Il esquisse quelques histoires, quelques destins. Il aimait bien s'arrêter pour regarder la Méditerranée. «Maintenant ce n'est plus possible. Chaque fois que je regarde l'eau, je pense à une couverture tirée, un drap blanc pour couvrir des yeux et des membres. Les poissons aussi ne me font plus le même effet qu'avant.» Cl.D. 

Fragments

Guido Ceronetti Insectes sans frontières. Pensées du philosophe inconnu

L'Italien Guido Ceronetti (1927-2018), marionnettiste et écrivain, était un ami de Cioran. Et comme ce dernier, il n'était pas tendre avec le genre humain. Dans ce livre de pensées et d'aphorismes, parfaitement malthusianiste, il s'en prend par exemple au «devoir imaginaire d'engendrer de nouveaux malheurs humains en perpétuant le processus criminel et stupide de notre Histoire inhumaine !» Parfois ses coups de griffe visent des proies de moindre taille. Par exemple la mode du tatouage. Il était «l'art lugubre des reclus et des condamnés», et aujourd'hui selon Ceronetti «la jeunesse tatouée est une jeunesse qui demande à être menottée, qui exprime sa terreur d'être libre». Mais au-delà de ses réflexions grinçantes, Guido Ceronetti fait montre d'une grande érudition, d'une lucidité revigorante, et d'un sens de la prophétie onirique : «Les villes se rempliraient la nuit de penseurs chuchotants, d'âmes solitaires plongées au fond d'un livre, de philosophes veillant à l'angle des rues…. Quelqu'un mourrait au petit matin d'une overdose de savoir.» Paraît aux éditions du Cerf du même auteur Pour ne pas oublier la mémoire, où il conseille de tourner le dos à la mémoire électronique (112 pp., 12 €). F.F.

Philosophie

Henri Bergson L'idée de temps Cours du Collège de France 1901-1902

Ce volume clôt la publication de la série des cours inédits donnés par Bergson au Collège de France. L'idée de temps fait suite au cours sur l'Idée de cause, et aborde la question qui est au cœur de toute la pensée de Bergson. Le programme est annoncé sans ambages dès le début de la première séance. «Nous aborderons deux problèmes : celui du temps et celui de la connaissance conceptuelle ; ils sont, comme nous le montrerons, intimement solidaires. Notre objectif principal est de déterminer la durée, d'en faire l'analyse, et, d'autre part, d'étudier les concepts et les idées. De l'étude de la durée, nous tirerons l'intelligence conceptuelle.» Et on est aussitôt dans le bain : «Prenons par exemple, une sensation représentative : la luminosité d'un objet. Pendant une seconde, je suis impressionné par quelque chose de relativement stable et fixe ; or, si j'analyse cette sensation, je découvre que ce qui paraissait homogène est un nombre indéfini de changements élémentaires…». Après ces deux leçons introductives, Bergson se met en quête de «la durée pure», et commence par montrer - l'idée fera fortune - que le temps spatialisé du sens commun et de la science, n'est pas le temps réel… Ce Cours est édité à partir des prises de notes d'un proche et des transcriptions commandées par Charles Péguy. R.M.

Gérard Bensussan Etre heureux ? Ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas

Qu'on ne s'attende pas à un petit volume de «développement personnel», offrant à la volée des «recettes du bonheur». Professeur émérite de philosophie à l'université de Strasbourg, longtemps chercheur aux Archives Husserl (ENS, Paris), spécialiste de Schelling, de Rosenzweig, Marx ou Levinas, Gérard Bensussan prend la question du bonheur au sérieux, en notant d'abord que si elle est attachée à la philosophie dès son aube (Epictète, Epicure, Aristote…) - dans sa différence marquée avec la question de la sophia, de la sagesse - elle a rarement été l'«objet d'une interrogation centrale chez bien des philosophes modernes». A partir de Kant, qui aurait marqué la rupture entre Anciens et Modernes, c'est-à-dire coupé le pont entre «connaissance et bonheur ou entre vertu et félicité», et établi que le bonheur n'est guère la destination de l'homme mais vraisemblablement un «but involontaire», Bensussan met à l'épreuve le lien qui attacherait le bonheur à l'espérance («Un jour peut-être serai-je heureux !»), et tente de savoir s'il peut se construire avec un matériau que l'on puiserait en soi-même, ou si les aléas, la «fortune», les circonstances extérieures sont déterminantes. Les stoïciens le disaient déjà, en conseillant de distinguer ce qui est en mon pouvoir de ce qui ne l'est pas. Oui, mais : «Le moi ne se laisse pas aussi facilement saisir et déterminer qu'on puisse dire sans frémir ni broncher : ceci dépend de moi, cela n'en dépend pas.» R.M.