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Libération
Critique

Vient de paraître

publié le 22 mars 2019 à 17h46

Romans

Alec Scouffi Au poiss' d'or

Battu par son beau-père pâtissier - un certain Balard -, le jeune Pierre vole dans la caisse de la boutique et quitte Saint-Germain-en-Laye pour fuguer vers Paname. L'ado, attiré par les garçons, veut faire le tour du monde. Il devient Chouchou, «une poupée de chair», petite gouape du trottoir du côté de Montmartre et Barbès, qui «s'accapar[e] facilement tous les michés sérieux» et crèche au Poiss' d'or, hôtel de passe sordide. «Ses réveils étaient pénibles, souvent atroces. […] Mais le démon de l'aventure le tentait, le reprenait tout entier à la tombée de la nuit.» La déchéance de Chouchou est peuplée de Julot, Bijou, Louise, Maxwell, et fait étape dans des lieux de fête, des ateliers, au bois de Boulogne, dans des hôpitaux… «Le tour du monde, ç'avait été simplement pour lui le tour de la place Pigalle. […] Le voyage de la chair est le seul dont on ne revient pas.» Nous sommes en 1929, et lorsqu'il publie cet ouvrage rejeton de Jésus la Caille et des Mystères de Paris, roman initiatique et d'atmosphère, jalon de la culture homosexuelle, Alexandre Scouffos (alias Alec Scouffi) est poète, écrivain mais aussi chanteur lyrique. Figure de l'underground et des milieux littéraires, à Paris mais aussi à Alexandrie où il est né, l'auteur issu d'une famille grecque fortunée, captive par son parcours atypique et sa mort, en 1932, que Modiano, fasciné par le personnage, résumait ainsi : «Assassiné dans sa garçonnière du 97, rue de Rome. L'assassin n'a jamais été identifié.»  G.Ti. 

Fabrice Colin Le Mirage El Ouafi

En 1928, les Jeux olympiques se déroulent à Amsterdam. Ils innovent de deux façons : les femmes y participent et la flamme olympique brille pour la première fois. Troisième nouveauté : El Ouafi, né en Algérie en 1898, est le premier indigène à remporter une médaille, d'or en l'occurrence, en gagnant l'épreuve reine du marathon. L'écho dans la presse est faible en raison de l'origine d'El Ouafi. Il retrouve vite l'anonymat et la pauvreté, les champions à cette époque ayant un statut d'amateur et non de professionnel. En 1959, il est assassiné dans des circonstances floues, à Saint-Denis. Fabrice Colin, sous la forme d'un roman, enquête sur ce champion oublié. L'écrivain se souvient de l'Algérie où il a vécu et où il retourne. Un Algérien mystérieux, appelé M., le guide sur les pas d'El Ouafi. Il est question de Mimoun, champion olympique en 1956, et de François Hollande en visite en 2015 à Alger. M. s'inquiète «du fait que son pays n'est plus, selon lui, gouverné par quiconque - est-ce un problème ?» V. B.-L. 

Récit

Maylis de Kerangal Kiruna

Où on retrouve le goût de l'auteure de Naissance d'un pont pour les aventures collectives, la lutte entre l'homme et la matière, la maîtrise des outils. Elle se rend ici au pays des Samis, à l'extrême nord de la Suède. Elle cherchait une mine en activité. «J'ai choisi Kiruna parmi toutes les mines parce qu'elle est la plus grande mine de fer du monde et d'emblée, j'ai frémi devant ce que cette pole position augurait de colossal, de sonore, de démesuré.» Il n'est pas question d'entrer dans les entrailles du territoire (1 365 m de profondeur), car c'est interdit, mais rencontrer ceux et celles qui travaillent là permet de se faire à la fois une idée et un cinéma, qui serait un western. Cl.D. 

Histoire

Frédéric Barbier Histoire d'un livre : la «Nef des fous» de Sébastien Brant

Des cagoules cornues et des grelots à foison : les fous sont de sortie. On ne parle pas ici de maladie mentale, mais de la folie humaine très partagée des hommes et femmes du Moyen Age tardif qui dilapident leur vie sur Terre et mettent en péril leur salut au Ciel. La Nef des fous est l'un des premiers best-sellers des débuts de l'imprimerie. Ecrit par Sébastien Brant, lettré né à Strasbourg en 1458, illustré de gravures sur bois signées par Dürer, et publié en 1494, le livre est celui d'«un prédicateur» et d'un «intellectuel au sens moderne du terme», indique l'auteur Frédéric Barbier. Celui-ci a mené une enquête foisonnante sur l'histoire du livre, sa conception à Bâle, avec l'imprimeur Johann Bergmann, sa réception, ses rééditions, les contrefaçons, les traductions. Ecrit en langue vernaculaire, et non latine, la Nef des fous se déploie en petits chapitres versifiés, mettant l'accent, comme «une petite fable», sur l'un et l'autre travers humain préjudiciable à un aller simple pour le paradis. Parmi ceux-ci : la bibliomanie. Soit l'accumulation de livres qui ne sont pas lus à bon escient. F.F.  

Psycho

Roger Dadoun Caractérologie. Nous sommes tous des caractères

Le terme de caractère n'a pas beaucoup de caractère : on peut dire d'une voiture qu'elle a du caractère, ou d'un vin ou de spaghetti all'amatriciana, et on ne sait pas trop ce qu'on dit d'une personne quand on affirme qu'elle a du caractère ou n'en a pas. Branche de la psychologie, la caractérologie a essayé de mettre un peu d'ordre : elle a fixé des types - Passionné, Sanguin, Flegmatique, Nerveux, Sentimental, Amorphe, Apathique - et des «facteurs de base» (Emotivité/Activité, Primarité/Secondarité), qui, combinés, sont censés définir les traits profonds d'une personnalité. Philosophe, psychanalyste, professeur émérite de littérature comparée, auteur de très nombreux ouvrages, Roger Dadoun donne ici toute sa puissance à la caractérologie et au caractère, lequel serait en somme «la seule identité réelle dont on puisse être sûr», ou, selon le mot du poète André Suarès, «la passion d'être soi, à tout prix». Examinant le caractère au travers des filtres de Freud ou de Wilhelm Reich, de Stefan Zweig ou de Romain Rolland, Dadoun ne se prive pas du plaisir de «caractériser» certains hommes politiques, De Mitterrand à Sarkozy ou Macron, lequel serait «S-nEAP» , soit «Sanguin, nonEmotif- Actif-Primaire» R.M. 

Philosophie

Paul-Antoine Miquel Vénus et Prométhée. Essai sur la relation entre l'humain et la biosphère

«C'est en 1979 que l'ingénieur anglais James Lovelock publie Gaia : A New Look of Life on Earth L'ouvrage fut assez mal reçu par la communauté scientifique, mais les idées qu'il contenait ont cheminé toutes seules, et fait qu'on se demande si la «mère nourricière», la Terre, «est là pour maintenir les meilleures conditions possibles d'existence pour la biosphère», si Gaïa, divinité chtonienne, est un «super organisme» ou une «entité mixte», à la fois Terre et Biosphère. Philosophe et épistémologue, professeur à l'université de Toulouse-le Mirail, Paul-Antoine Miquel prend au sérieux l'idée que «la biosphère contrôle au moins partiellement la stabilité des paramètres géophysiques et géochimiques qui rendent possible son existence » (d'où : «que l'on change de quelques degrés le pourcentage d'oxygène dans l'atmosphère et toutes les forêts vont brûler…»). Mais il soutient que la Biosphère n'est pas la Terre et n'est pas non plus un Organisme, en introduisant «Vénus», qui vient de Gaïa, «sa coquille», de sorte à faire apparaître la figure originale de la «totalité ouverte». L'aboutissement est un «nouvel impératif éthique», qui sonne comme celui que proposait Hans Jonas : «Agis de telle sorte que tu prennes en compte les devoirs que tu as vis-à-vis de générations futures et de la biosphère, comme si elles pouvaient revendiquer des droits»R.M.