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Libération
Critique

Vient de paraître

publié le 12 avril 2019 à 17h56

Romans

Dominique Fabre Je veux rentrer chez moi

«Il était en zone bleue, cinquième étage.» Richard, l'ami d'autrefois et d'hier, le dandy du pensionnat, est à l'hôpital. Venir lui rendre visite est naturel, dans les romans de Dominique Fabre il n'y a pas de surplomb, pas d'échappatoire, la vie est abordée de plain-pied. «Il avait déjà une poche mais ça allait.» Richard a toujours été beau, une partie de son charme, aussi, venait naguère du fait que sa mère était anglaise. Le narrateur remonte le fil de son chagrin et de ses souvenirs, le chien de Richard, les filles, l'héroïne, la destruction. «Ce grand café du boulevard des Maréchaux près de la porte Dorée, il y allait souvent à cette période.» A part ce café, la géographie est inchangée : «Notre chère banlieue ouest.» Cl.D.

Nicolas Le Golvan Regarde ton père

Heureusement, Bruno est là. Il est l'un de ces amis négligés depuis longtemps «mais qui, le jour venu et sans une once de reproche, vous sauvent la vie». Bruno est peintre, il travaille dans un joli atelier de la banlieue parisienne et il épaule le narrateur, divorcé, dont la fille de 7 ans prétend ne plus distinguer les couleurs. Le problème est ailleurs, en réalité, dans le regard des autres sur sa peau de métis, puisque sa mère est noire et son père, blanc. Regarde ton père ne s'enlise pas dans la tristesse. Pour compenser ce chagrin, tandis que le printemps commence, père et fille se promènent et discutent. Le livre rappelle, en moins dramatique, Le petit prince a dit, un film de Christine Pascal avec Anémone et Richard Berry. Le narrateur se souvient de la petite enfance de Rose, sa fille ; des soins qu'exige un nourrisson et que peu à peu à regret l'on ne dispense plus. Il se rappelle aussi son union avec la mère de Rose : «Dans mon immaturité fondamentale, j'avais posé notre amour en pilier unique de mon existence.» Erreur. V. B.-L.

Gaëlle Josse Une femme en contre-jour

«Call me Jones, call me Smith» : installée sur le bord du lac Michigan, à Chicago, la vieille dame se dérobait, dit-on, quand on lui demandait qui elle était. Il est vrai que toute son histoire familiale était faite de «dissimulations et d'identités multiples». Qui êtes-vous, Vivian Maier ? Il faudra attendre sa mort et la découverte par un jeune agent immobilier de tout un corpus photographique, pour que se lève un peu le voile. Un film, des livres, des expositions : la photographe et gouvernante a fini par accéder à une notoriété posthume internationale. Son travail est un reflet de l'Amérique des «désarçonnés». «Ouvriers, chômeurs, personnes âgées, enfants livrés à eux-mêmes, toutes les détresses trouveront refuge dans son objectif», écrit la romancière Gaëlle Josse. Celle-ci tente d'approcher les raisons de cet effacement énigmatique. Vivian Maier (1926-2008) avait conscience de la force de ses photos, à la teneur également autobiographique. Alors pourquoi ne les a-t-elle pas fait connaître ? Son histoire familiale est aussi celle de l'immigration, d'un rêve américain qui vire au cauchemar. Un roman enquête qui, avec pudeur, laisse œuvrer les lacunes. F.F.

Mário de Carvalho Madrigal

«Ce livre est pure fiction hors de tout réel», note l'auteur en préambule. Avertissement précieux, qui permet d'écarter le risque de voir de l'autobiographique sous le lit ou derrière les plinthes, et laisse l'ironie se déployer librement. Epilogue : «"Je déteste avoir des choses molles dans ma main", c'est ainsi qu'une certaine dame me donna congé, au petit matin. Et elle me ferma la porte au nez.» Dans ce recueil des aventures sexuelles d'un narrateur auquel les femmes ne refusent habituellement pas grand-chose, les dialogues sont cinglants. Passent une femme mûre, une jeune fille, et bien d'autres partenaires d'âges intermédiaires. Une garçonnière prêtée par un ami sert de décor : «C'était un petit studio, dans une cave, avec un lit branlant et des meubles de cinquième main, où le plus important était de garantir l'horizontalité.» Certaines s'y font, d'autres pas. Merci pour ce moment. F.F.

Philosophie

Johanna Hawken La Philo pour enfants expliquée aux adultes

Ce qu'il y a de plus difficile, quand des philosophes s'avisent de faire de la philosophie devant des enfants et des adolescents, c'est d'expliquer à leurs parents ce qu'ils font et ce que font les enfants ! Ou alors il faut en laisser le soin à Johanna Hawken, philosophe, formatrice et responsable de la Maison de la philo de Romainville (Seine-Saint-Denis), qui depuis une décennie organise des ateliers philosophiques pour enfants, et accueille aussi les multiples questions des parents, et des adultes en général, qui, au début, manifestent toujours quelque réticence, parce que formés eux aussi, historiquement, à l'idée que l'enfance est passion, sentiment, immaturité, «âge obscur des préjugés» (Descartes), caprice, bêtise, et non raison ou logique. Dans cet ouvrage, Johanna Hawken explique, à l'aide de nombreux exemples, la façon dont se déroulent les ateliers - sur l'amour, la mort, la liberté, les rêves, la différence…- et, pour certains, en livre la transcription. On y découvrira la manière dont, pour prévenir des «réactions binaires de type "C'est vrai/c'est faux"» ou des réactions de dénigrement («t'es nul, t'es bête») est mise en œuvre la «pensée bienveillante», qui représente «le moment où l'éducation philosophique devient une pratique éthique». R.M.

Peter Sloterdijk Réflexes primitifs

Le sous-titre dit plus clairement l'objet du livre : «Considérations psychopolitiques sur les inquiétudes européennes» - considérations que le philosophe allemand développe à propos de l'immigration, du Brexit, de la montée des populismes, de l'idée de nation, du besoin d'Europe, du cynisme généralisé… Sloterdijk constate la persistance à travers l'histoire et les cultures de la tendance qu'a l'homme à s'auto-aveugler, à se laisser tromper et à tromper, à avaler toutes les couleuvres du mensonge et à toujours mentir lui-même. De façon assez attendue, le philosophe voit dans la «révolution des réseaux de communication par Internet», le «basculement des systèmes internationaux de désignation de l'ennemi, passés de la guerre froide à la défense contre le terrorisme», la montée de ce «code de langage néomoraliste» qu'est le political correctness, et enfin le «déchaînement de flots de réfugiés», les quatre facteurs qui accompagnent les profondes mutations dans «les relations entre domination et mensonge», et déterminent l'«atmosphère mentale du début du XXIe siècle», à savoir que «l'imposture est devenue l'esprit du monde». Est-ce que tout le monde travaille à la «modernisation des systèmes de mensonge», ou reste-t-il quelques «amis de la vérité» ? D'eux dépend, en tout cas, que «nous vivions un deuxième souffle de la démocratie» ou que «la vague d'obscurantisme cynique qui vient surtout actuellement de Russie et de quelques pays musulmans emporte avec elle l'Occident et le "reste du monde".» R.M.