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Libération
Critique

BD Blake et Mortimer, Bruxelles déployé

Avec Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux, François Schuiten publie une nouvelle aventure prenante où pour la première fois le duo sort de son univers.
publié le 14 juin 2019 à 17h26

Blake a vieilli. Le visage émacié, les cheveux gris, la moustache pendante, il n’est plus le jeune officier dynamique toujours prêt à sauver le monde que l’on connaît, mais un colonel au service des puissants. Ainsi va la vie, on se laisse emporter par les galons en oubliant nos idéaux. Mortimer a vieilli, lui aussi. Il a pris sa retraite, il est un peu oublié, les deux amis ne se voient plus, mais lui, est resté le même universitaire curieux, le génial inventeur de l’Espadon qui pourrait s’asseoir à la table des plus grands avec Einstein et Léonard de Vinci.

Ce n'est pas surprenant : depuis des années que l'œuvre de Jacobs continue, les auteurs préfèrent le plus souvent le professeur, plus complexe, au militaire, un peu fade. Le duo n'en est plus vraiment un, le second servant surtout en soutien. Le Dernier Pharaon,porté par un quatuor belge de choc, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig, Laurent Durieux et, en chef d'orchestre, François Schuiten, ne fait pas exception. Dans les premières pages, Mortimer se rend au palais justice de Bruxelles, bâtiment immense et mythique connu jusqu'à Paris pour ses travaux perpétuels. Un ami veut lui présenter une étrange découverte. Des hiéroglyphes, une pièce secrète et un mur creux à casser annonçant un phénomène mystérieux, dans la lignée du Mystère de la grande pyramide(1954). Malheur ! Une explosion ! Un rayon vert provoquant un black-out électrique englobe toute la ville. Bruxelles doit être évacuée comme le fut la région de Tchernobyl après la catastrophe. S'ensuit un beau récit mêlant les ritournelles habituelles de Jacobs sur la science et ses dangers, les complots ésotériques s'étalant sur plusieurs siècles et les obsessions personnelles de Schuiten sur la ville, l'architecture, l'écologie et la catastrophe climatique qui s'annonce.

Car, pour la première fois, Blake et Mortimer sortent de leur univers. Schuiten abandonne la ligne claire de leur créateur pour rester dans son style lithographique avec force traits et hachures. On est plus ici dans un spin-off des Cités obscures, son œuvre majeure avec Benoît Peeters, que dans le suivisme habituellement demandé aux repreneurs d'une série devenue, au fil du temps, assez chiante. Là est la force de cet album vif et prenant : tout autant un voyage dans un Bruxelles post-apocalyptique que dans la psyché de Schuiten qui, à ce moment-là de sa vie, avait sans doute besoin de détruire sa ville pour mieux la reconstruire.