Le roman Ames (Histoire de la souffrance, 1), de Tristan Garcia, paru chez Gallimard début janvier, n'a sans doute pas reçu l'attention que cette fresque ambitieuse mérite. Le texte brasse une thématique vaste et profonde avec une limpidité qui peut sembler simple de prime abord : les origines de la souffrance. Beaucoup de romans tournent autour en prétendant parfois nous ouvrir un futur furtif, mais Tristan Garcia essaie de remonter à sa dimension mythologique avec une jouissance d'écriture sans effet tape-à-l'œil.

Dans ce premier tome d’une trilogie, on débute par l’éclosion de la vie, un premier ver, pour révéler les mécanismes de la douleur et ses conséquences. Chaque chapitre a son unité, à la manière d’une nouvelle, avec des personnages dont la vie se manifeste surtout par les états du corps, la chair, le sang. On voyage de civilisation en civilisation, dans l’ombre respectueuse de Gilgamesh, de la Chine ancienne avec ses rois et ses voleurs, dans la pensée d’un Romain qui cherche la vérité du corps ou d’une moine bouddhiste perdue au milieu de batailles. A chaque fois, des motifs apparaissent, des archétypes, le brigand d’un chapitre se transforme en Jésus dans le suivant puis en princesse du Râmâyana. Il y a tout un jeu de pistes, balisées par des couleurs d’âmes, le bleu, le vert, le jaune, le rouge et le lecteur peut s’amuser à percevoir les différences et les points communs, les perturbations dans des schémas qui jamais ne sont répétitifs.

Tristan Garcia affirme dans ce roman son goût pour ces récits des contes et des légendes qui habitent nos sociétés. C'est ce qui rend Ames si accessible pour ceux qui ont été bercés par les poèmes d'Homère et qui en retrouveront le frisson. L'auteur ne fait pas dans la parodie, il insère dans ses histoires des aspects contemporains sur le corps, l'identité, la politique. Il ne s'agit pas d'un refuge dans le passé mais bien d'une mise en valeur de problématiques qui nourrissent notre actualité.