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Libération
Librairie éphémère

Droit de glaive chez les Celtes

Librairie éphémèredossier
par Morgan Corven, Professeur de français
publié le 30 août 2019 à 17h16

Ne pleurez plus la fin de Game of Thrones, séchez les larmes que vous avez versées après la dernière nouvelle de Conan le Cimmérien, arrêtez de relire le Seigneur des Anneaux… Les Rois du monde de Jaworski sont arrivés. Jaworski, créateur de mondes, de personnages et de mythologies.

Le lieu du récit : la Celtique, théâtre de notre proto-histoire. Pas celle des Vikings, des Troyens ou des chevaliers du Graal. Mais la nôtre, à nous qui habitons les territoires éduen, carnute, turon, la ville de Bibracte, les rives du Liger… Notre origine brumeuse. Les personnages : les fils déchus du haut-roi assassiné Sacrovèse, qui ont été élevés par leur oncle, (l’assassin !) Ambigatos. L’aîné des fils, Bellovèse, est notre héros. Avec son frère, Ségovèse, ils sont des rois semi-légendaires qui auraient fondé selon Tite-Live leurs propres royaumes. Tite-Live les a évoqués, Jaworski les a fait naître pour de bon. Et il les lance dans des intrigues riches, haletantes, royales.

«Cette année-là […], quelques prisonniers atrébates avaient avoué qu'une coalition de plusieurs tribus venait d'élever un grand sanctuaire Nemetacon, dans le but de gagner la faveur des dieux avant de se lancer dans une guerre de conquête.» Ça va saigner chez les barbares druidiques, comme cela saignait dans le Moyen Age de Maurice Druon. Car comment ne pas penser aux Rois maudits, tant Jaworski parvient à nous plonger dans une époque, à nous la rendre familière : la topographie, le quotidien, la religion, les traditions, les arts guerriers et domestiques. Quant au style, là encore, l'auteur est généreux. Son décor celte nous subjugue, nous horrifie. Jaworski nous abreuve d'images dans des phrases baroques, tout en contrepoints et en envolées, pour mieux nous surprendre avec ses dialogues à la subtile violence euphémisante.

«Cictovanos me regarde en coin, l'œil plissé de malice. "En fait, on n'est pas des devins, et si tu nous avais croisés il y a trois jours de ça, on vous aurait sans doute cassé les reins sans faire de chichis. Mais il faut croire que les dieux sont avec toi, Bellovèse : tu as eu une chance de cocu ! On ratisse le pays, tu vois, et souvent, avant de donner leur congé aux braves gens qu'on déleste, on fait la conversation."» Il n'y a rien de superflu dans ce foisonnement terrible, déployé par Jaworski afin de nous enrouler dans son monde, notre passé fantasmé.