Histoire
William Reddy La Traversée des sentiments. Un cadre pour l'histoire des émotions (1700-1850)
Initialement publié aux Etats-Unis en 2001, ce livre a largement contribué à faire des émotions un objet pour l'histoire. Deux parties différentes le composent. La première est une lecture serrée des approches que les sciences cognitives, principalement la psychologie, puis l'anthropologie ont consacré à la question des émotions. Elle s'achève sur une série de propositions théoriques qui insistent sur l'historicité des régimes émotionnels et introduisent le concept d'« émotif » pour désigner la dimension performative, dans un contexte donné, des énoncés émotionnels. La seconde partie du livre s'attache à présenter un cas d'espèce. Historien de la France, Reddy a choisi de centrer son étude sur la Révolution française. Il y montre combien le « sentimentalisme », qui connaît son âge d'or vers 1780, affecta les relations personnelles et nourrit le discours politique, notamment au travers des notions de «sens moral» et de «vertu civique» qui pesèrent lourd sur le cours des événements, avant d'être peu à peu banni au lendemain de la Terreur. D.K.
Romans
Sylvain Coher Vaincre à Rome
En 1960, Abebe Bikila est le premier Ethiopien à remporter l'épreuve du marathon aux Jeux olympiques de Rome. Ce caporal de 28 ans appartient à la garde royale du négus Haïlé Sélassié, qui lui a demandé de «vaincre à Rome». Vingt ans auparavant, Mussolini prenait Addis-Abeba. Abebe Bikila a une particularité qui contribue à sa légende : il court pieds nus. Il s'est toujours entraîné ainsi, si bien qu'il est moins rapide lorsqu'il est chaussé. Sylvain Coher raconte cette épreuve de deux heures et quinze minutes comme si nous la courions. Abebe Bikila voit Rome depuis la via Colombo, la plus longue route d'Italie. Le futur champion pense que la volonté divine l'aide. Le seul concurrent sérieux porte le dossard 185 : qui est-ce ? Certainement pas Zátopek : il est là, mais il est en fin de carrière, il n'y a donc rien à craindre. L'exploit de Bikila incitera les journalistes à écrire : «Rome annonce une nouvelle éclosion d'athlètes noirs» ou encore : «La victoire d'Abebe Bikila, c'est la corne de l'Afrique fichée en écharde dans la botte italienne.» V.B.-L.
Dana Grigorcea La Dame au petit chien arabe
Ce n'est pas la mer à Yalta, mais les bords du lac de Zurich. Le chien, un «croisement de balade», n'a rien de russe. Il a été trouvé sur une plage d'Algérie et a le poil jaune. Sinon tout est comme dans la nouvelle de Tchekhov, dont voici une variation contemporaine : une femme et un homme mariés se rencontrent dans une atmosphère désœuvrée. Dans le roman suisse, l'homme aimé porte un nom étranger. Il est Kurde, s'appelle Gürkan, il a épousé sa cousine, il en rit. La femme s'appelle Anna, elle est danseuse. Dana Grigorcea décrit à petites touches les sensations neuves des protagonistes et dessine une belle histoire d'obsession réciproque : «La pensée de Gürkan devenait de plus en plus un écho de son dialogue intérieur avec elle-même.» Quant au chien, l'amour l'a relégué hors champ. F.F.