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Libération
Portrait

Le Joker, l’homme qui rit

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Rencontre ligotée avec le méchant vieillissant qui retrouve, pourtant, les faveurs d’une époque ulcérée, nihiliste, ricanante et narcissique.
Illustration Anne Simon. Dernier ouvrage paru en janvier 2020, «Gousse & Gigot» (Misma). (Anne Simon)
publié le 29 janvier 2020 à 17h36

Le réveil est douloureux. Attaché, les mains en arrière, à califourchon sur une sorte de gros éléphant rose à bascule, on ne sait pas trop où on est, l’œil embrumé et la bouche pâteuse. On regarde autour de nous : un manège décati où tous les animaux ont la tête coupée, une pancarte «palais des miroirs» devant une grande tente éventrée, un stand de tir avec des portraits perforés de Mark Zuckerberg, Lex Luthor et Bruce Wayne… Un parc d’attractions abandonné, une sorte de Coney Island morbide, peut-être celui de Gotham City, dont on a entendu parler quand on a mis les pieds dans la ville. On était venu écrire un article sur le renouveau de la cité, sa gentrification et la disparition de ses tristes symboles comme l’asile d’Arkham transformé en musée Guggenheim. Quelque chose a dû mal tourner.

«Hahahaha.» Un rire. «Hahahahaha.» Encore un. Plus long. «Hohohohehehehahaha.» Ça ne s'arrête pas. Ça donne la chair de poule. Il apparaît, et, même si on pensait que le légendaire criminel était mort, on le reconnaît tout de suite : le Joker.

Toujours dans son costume violet, gabardine orange, fausse fleur en bandoulière, il resplendit. En apparence. A y regarder de plus près, les vêtements sont un peu usés, et le maquillage de clown, entre le blanc du visage, les yeux noirs et le sourire rouge, dégouline. Le Joker a vieilli. On tremble quand même.

L'homme, d'un coup de canif, nous détache. Il dit bonjour, nous tend la main. On l'attrape, un faux bras part avec e