Jocelyne Desverchère, Insulaires
«Fièvre ou folie insulaire ?» Suspense. Avant le drame, Hélène part joyeuse et confiante sur une île française où l'accent est chantant, la lumière dorée et les oliviers féconds. Boris, le narrateur et l'amant d'Hélène, l'accompagne. C'est leur premier voyage ensemble, ils font souvent l'amour. La raison de leur départ ? Hélène vient d'apprendre que son père n'est pas son père. Son géniteur biologique est mort, mais il reste une famille cachée à découvrir et des terres à arpenter. La tante, le frère, la demi-sœur accueillent gentiment Hélène et Boris et déballent peu à peu leurs secrets et leurs ressentiments ; toutes les familles en ont. Ce qui paraissait simple ne l'est pas. Puis arrivent Angelo et Sean, un beau couple qui sème la zizanie entre Hélène et Boris. Les peaux chauffent au soleil, l'excitation monte, la jalousie aussi, ils se réconcilient et participent à la fête du village : alcool, danse, ivresse. Un peu plus tôt, Hélène euphorique avait dit à Boris : «Ici finit la civilisation !» L'accident était imminent. V. B.-L.
Helle Helle, Perdus en forêt
Rien de téléphoné dans ce roman, les deux Robinson ne se consoleront ni par le sexe ni par une attraction sentimentale fulgurante. D'ailleurs le téléphone ne capte pas. Deux joggeurs qui ne se connaissent pas, un homme et une femme, tournent en rond dans la forêt. La nuit tombe, ils se réfugient dans une cabane et se réchauffent sous des couvertures moisies. «Mon talon brûle, dit l'homme, j'ai l'impression de me voir d'en haut à travers les ténèbres, désormais.» Ils ont faim, peur, sont gelés, mais une immédiate confiance les lie, qui laisse libre cours aux confidences. F.F.
Eric Geerkens, Nicolas Hatzfeld, Isabelle Lespinet-Moret, Xavier Vigna (sous la direction de), Les enquêtes ouvrières dans l'Europe contemporaine.
L'industrialisation de l'Europe au début du XIXe siècle suscita l'émergence synchrone de la «question sociale» : comment comprendre que les nouvelles formes du travail produisent de la misère (c'est le «scandale» du paupérisme), comment améliorer le sort de ceux que beaucoup considéraient comme des «barbares», comment contrer le danger politique qu'ils incarnent ? Les «enquêtes ouvrières» qui apparurent autour de 1840 entendaient répondre à ces interrogations. Œuvres de très nombreux acteurs (philanthropes, médecins, économistes, romanciers, journalistes, sociologues, ouvriers eux-mêmes), elles obéissaient à des formes et à des intentions fort diverses. Fruit d'un séminaire tenu à l'Ecole des hautes études, ce livre réunit trente chercheurs issus d'horizons variés (histoire, sociologie, littérature, cinéma). Ses chapitres analysent l'évolution des pratiques et des méthodes d'investigation, questionnent leurs effets et éclairent chemin faisant quelques figures célèbres, de Villermé à Charles Booth, d'Engels à Max Weber et Paul-Henri Chombart de Lauwe. D.K.
Marc abélès, Carnets d'un anthropologue. De Mai 68 aux gilets jaunes.
L'anthropologie politique que pratique depuis longtemps Marc Abélès «s'inscrit en rupture avec la conception classique qui privilégiait l'étude des mondes lointains, des peuples considérés comme archaïques, voire "primitifs"» : elle est une anthropologie du temps présent, qui «ne se confond pas avec le journalisme» en ce qu'elle applique rigoureusement la méthode ethnographique, en établissant un équilibre entre la «plongée» dans le milieu étudié, et la prise de distance qu'exige l'«élaboration de modèles explicatifs». Dans ces Carnets qu'il publie aujourd'hui, où se tissent récit autobiographique et analyse (avec un retour sur ses premières recherches consacrées à l'Afrique, et à l'Ethiopie en particulier), Abélès vérifie la fécondité de cette méthode en l'appliquant à des phénomènes sociaux complexes - des «explosions sociales que personne n'a vu venir» - où sont en acte des dispositifs «qui redonnent au collectif l'initiative et la capacité de s'orienter», et où est mieux visible «le délitement d'une certaine pratique du pouvoir qui se prévaut de la démocratie représentative». Des mouvements tels que Mai 68, auquel l'auteur prit activement part, ou celui des gilets jaunes révèlent ainsi des caractéristiques jusqu'ici passées inaperçues. R.M.
Brigitte Allain-Dupré, Les souffrances de Pinocchio. PMA et transmission.
Insémination artificielle, sans ou avec donneur (IAD), fécondation in vitro (FIV), PMA… On sait les multiples débats - médicaux, sociaux, éthiques, politiques, philosophiques, psychologiques… - auxquels ces pratiques donnent lieu. Brigitte Allain-Dupré les aborde tous, avec précision. Mais, dans les Souffrances de Pinocchio - le livre de Collodi parle d'un Pinocchio qui voulait être «un enfant comme les autres» -, elle ouvre un angle de vue tout à fait particulier, forte de sa formation de psychologue clinicienne, et, surtout, de psychanalyste jungienne. Si l'«irruption de la PMA, désormais quasi banalisée dans sa pratique, provoque cependant un coup de tonnerre dans le ciel supposé serein de nos esprits et de la représentation que nous avons de notre corps, de notre sexualité et de la procréation», dit-elle, c'est que ce «type de procréation atypique» n'est pas encore «investi culturellement dans les représentations vivantes». Ce qui manque, pour aborder les questions liées à la PMA, ce sont les «nouvelles métaphores», liées aux grands mythes des origines, aux expressions de la culture populaire, faisant que sa «créativité symbolique» puisse se répandre «sous forme de chansons, de poèmes, de contes, de rituels, de récits, y compris évidemment dans la littérature, pour adultes comme pour enfants». Exploiter les leçons de Jung pour «contrebalancer le matérialisme objectif de la procédure médicale», et donner à la transmission, une «dimension plus poétique». R.M.