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Libération
Critique

Un empêchement de Guillaume Fox

Les aléas de la mémoire par Jean-Baptiste Harang
Paris. le dénicheur d'oursons par Emmanuel Fremiet dans le jardin des Plantes (Photo Hervé Champollion.AKG)
publié le 7 février 2020 à 17h26

Pourquoi un écrivain n'écrit-il pas ? Il existe plusieurs réponses possibles. La plus simple est qu'il est plus facile de ne pas écrire que d'écrire. Dans le cas de Guillaume Fox, personnage principal de Dénicheur d'oursons, c'est plus complexe. C'est toujours plus complexe quand il s'agit d'un bon écrivain. Fox en est un, Jean-Baptiste Harang nous permet d'en juger dans la seconde partie de son roman.

La première partie est familière. On y reconnaît la rue Saint-Ferdinand, XVIIe arrondissement de Paris, dont l'auteur a parlé dans Nos Cœurs vaillants, mais la mémoire est trompeuse, on aurait juré que la voiture paternelle était alors une Aronde. En fait, le père de Guillaume Fox a une Ariane, et dans le livre précédent le père du narrateur avait une Fiat. En revanche, ce problème des souvenirs qui flanchent était au cœur de Nos Cœurs vaillants, et il l'est aussi dans Dénicheur d'oursons. «Guillaume a dans la tête un désordre fait de vide et de trop-plein.» Parfois, un trou. Il ne se rappelle pas. Quel était le «nom du gardien de but du Gazélec» ? Chacun voit ce que c'est, ce nom qu'on sait savoir, qui flotte, qui est au bord de revenir. Ou bien un nom rôde, qui ne nous dit rien. «Ainsi va mal Guillaume, obsédé par un gardien de but dont il a oublié le nom, et brutalement encombré par Emmanuel Frémiet dont il ne sait rien sinon qu'il fut.»

Emmanuel Frémiet (1824-1910) ne va pas tarder à faire irruption. Il était sculpteur, on lui doit une statue du jardin des Plantes (Ve arrondissement), «un pléonasme», Dénicheur d'oursons. Si Fox est, comme Jean-Baptiste Harang dans ses romans, tracassé par l'idée que la mémoire est un muscle, il est beaucoup moins flou qu'on pourrait le penser. Il a même la passion de la précision, comme l'auteur, dont les phrases sont d'équerre et ne se laissent pas alentir par de mauvais adjectifs. «Alentir» étant une des rares coquetteries de Jean-Baptiste Harang. «Guillaume Fox est un Hercule de la mémoire des chiffres», un observateur maniaque, drôle, on ne s'ennuie pas. Son âge ? La génération des Dinky Toys et des Solex.

La seconde partie de Dénicheur d'oursons est différente, elle est inachevée et donne la clef de l'empêchement de Guillaume Fox. Il s'agit d'un roman qu'il a oublié avoir écrit. Une famille se rend chaque année dans une île, le père, la mère qui est anglaise, et leur petit garçon, Alexis. Un adolescent fascinant, Ubek, dont il aurait fallu se méfier, s'introduit dans leur vie. Le roman s'évanouit avec la disparition d'Alexis.

Cherchez et ne cherchez pas le Dénicheur d'oursons au jardin des Plantes. Les statues ne sont pas toujours à la même place, contrairement aux secrets. «Il avait gardé par-devers lui un ticket du "Dodo manège" en souvenir de l'île Maurice et d'un enfant qu'il voulait oublier, mais l'oubli est un animal sauvage, furtif, incontrôlable, invisible, il sait effacer ses traces, il ne se commande pas, ni ne s'apprivoise, il n'en fait qu'à sa tête.»