Un souvenir d'enfance peut cheminer jusqu'à la cinquantaine, et davantage. Comme s'il attendait son heure pour réémerger. La silhouette de Bram Stoker se promenait dans l'esprit de Joseph O'Connor depuis les récits à faire peur de sa grand-mère. Ce n'était pas un fantôme de Dublin anodin, mais l'auteur de Dracula. Stoker, camarade d'Oscar Wilde au Trinity College, avait aussi quitté le pays pour Londres. Son rêve d'être écrivain végétait, alors il avait accepté l'offre de l'administration du Lyceum Theatre à Londres. C'est le grand acteur shakespearien Henry Irving qui le lui avait proposé. Le jeu de l'interprète de Hamlet captivait Stoker. «Je le vois sur scène, et quelque part j'ai l'impression de le connaître. Tout le monde éprouve cela, c'est là son génie», explique-t-il à sa femme, Florence Balcombe, pour justifier leur exil londonien.
Dans Vampyre Man, pour la BBC en 2015, Joseph O'Connor imaginait ce duo intense et théâtral, le sérieux Bram et le tonitruant Henry. Dans son dix-septième roman, l'Irlandais reprend ce casting et ajoute Ellen Terry, actrice très célèbre de l'époque, qui apporte une énergie fantasque et mutine. Cette sorte de ménage à trois mène le Bal des ombres. Les meilleures pages se déroulent dans le maelstrom d'un théâtre situé derrière le Strand, la ruche qu'a reprise Henry Irving. Le comédien hypnotise le public, c'est une bête de scène, une personnalité grandiloquente capable de virer son efficace administrateur