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Libération
Portrait

J.M.G., tenues de plateau

Rembobinage d’apparitions télévisées
Jean-Marie Le Clezio en 1963. (Keystone-France/Gamma-Keystone.Getty)
publié le 20 mars 2020 à 17h06

Jean-Marie Gustave Le Clézio a une voix grave, mate. Il va avoir 80 ans le 13 avril. Il ne change pas. Il n’est plus le «grand jeune homme blond», expression reprise des millions de fois, qui déboula sur la scène littéraire à l’âge de 23 ans, mais la silhouette est restée svelte, et le visage est presque indemne. Rédigée par Christian Doumet, la notice de la vénérable Encyclopaedia Universalis commence ainsi : «Lorsqu’il obtint, en 1963, le prix Renaudot pour son roman le Procès-verbal, Jean-Marie Gustave Le Clézio n’était guère, pour le public, qu’un visage dont on soulignait la jeunesse et la beauté nordique, et ces trois initiales qui, dès la page de garde, posaient le signe de l’énigme.»

Le 11 mars dernier, l'auteur de Chanson bretonne est l'invité de la Grande Librairie. Le prix Nobel est en blue-jeans et polo noir - à moins que ce soit bleu marine - à manches longues. Il explique la forme fragmentaire de son livre, et la manière dont, au fond, il s'est abstenu de décrire l'enfant qu'il était vraiment. «On n'a pas le droit de parler de l'enfant qu'on a été, on risque de le trahir.» Un peu plus loin dans l'émission, il reprend ce verbe, il dit qu'«il ne faut pas trahir, ni soi ni les autres», aussi se méfie-t-il de la mémoire.

Sandales. Il cite Flannery O'Connor, qui dit que tout ce qu'on peut imaginer, on l'a connu entre l'âge de 7 ans et le début de l'adolescence, on passe le reste de sa vie «à s'en approcher». Le Clézio sourit légèrement, bouche fermée. Il découvre peu ses dents, elles sont complètement de travers.

En 2018, toujours chez François Busnel, Le Clézio porte une très élégante veste à col Mao qu'on aurait bien vu provenir d'Arnys, alors qu'en 2017 il n'avait pas choisi le plus seyant de ses pulls. Dix ans auparavant, l'année du Nobel, Jean Echenoz, reçu sur le même plateau, lui qui s'exprime si succinctement, fait une éblouissante déclaration d'admiration à propos du Procès-verbal. Le Clézio reste de marbre. Pendant ce temps, le cameraman de la Grande Librairie prend un malin plaisir à s'attarder sur ses pieds, sandales sur chaussettes.

Remontons les années. En 1991, lors de la sortie d'Onitsha, qui est «un véritable best-seller», selon le présentateur de l'époque, une envoyée spéciale s'entretient avec l'auteur chez lui, à Nice, devant un imposant buffet sculpté. La veste est de couleur bronze, assortie aux cheveux qui n'ont plus la blondeur des blés. La chemise bleu ciel est un peu froissée. Chaque reportage souligne que Le Clézio est discret et apparaît rarement à la télévision.

Vert bouteille. Bernard Pivot, en 1980, l'année des 40 ans de Le Clézio, dit déjà qu'il s'agit d'«un écrivain qui fuit les caméras et les micros». Chemise à carreaux (Burberry ?) sous un chandail vert bouteille, Le Clézio rectifie avec ce calme olympien qu'il conservera toute sa vie, et répond qu'il ne craint pas les caméras ni les micros, mais qu'«il ne faut pas trop parler, s'expliquer. On risque de ne pas dire exactement ce qu'on voulait dire». L'écriture n'a pas cet inconvénient.

Costume sombre, chemise blanche, cravate, l'auteur du Procès-verbal est bouleversant de jeunesse face à Pierre Dumayet lors de son premier entretien télévisé en 1963. La beauté d'un écrivain, lorsqu'elle est aussi frappante, est-elle un handicap ? Le 20 mars 1966, dans son Journal, Matthieu Galey note : «Dîner Aragon. Pechkhoff. Edmonde [Charles-Roux, ndlr]. Nourissier. Très primesautier, le maître. On parle du dernier livre de Le Clézio (très beau). Aragon. - On ne peut pas avoir du génie et cette beauté. Nourissier. - Et toi ?»

J.M.G. Le Clézio Chanson bretonne Gallimard, 160 pp, 16,50 € (ebook: 11,99 €).