De livre en livre, et depuis près de quarante ans, Alain Corbin ne cesse de le répéter : «Comprendre les hommes du temps jadis suppose de prendre en compte ce qu'ils ne savaient pas.» L'objectif ne vise évidemment pas à oublier ce que nous savons, entreprise illusoire, mais plutôt à repérer les manques, à sonder les ignorances, et s'approcher ainsi au plus près des représentations du monde d'hier. Ce programme, l'historien l'a appliqué dans ce livre aux savoirs de la Terre et de ses mystères : comment les hommes et les femmes du passé appréhendaient-ils leur environnement ? Que savaient-ils de la nature ou de l'âge de la planète, de la profondeur des mers, de l'origine des tempêtes ou de celle des volcans qui les fascinaient depuis l'Antiquité ?
Féeries
Il a choisi pour cela une séquence spécifique, celle qui, du milieu du XVIIIe à la fin du XIXe siècle, est marquée par une très nette accélération du désir de savoir. Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 sert de point de départ. Le retentissement de l'événement fut en effet inédit. Aussi destructeur qu'inexpliqué, le séisme fut aux sources d'une «culture du désastre» qui nourrit autant les gazettes et les almanachs que les réflexions de Diderot ou Voltaire. Ce que l'on savait alors de la planète se résumait à peu de choses et peinait à s'extirper du récit biblique. Pourtant, même si la Genèse restait une référence «historique», certains s'att