Mot. Au cours de sa déambulation, Santiago Amigorena se souvient de sa rencontre «fulgurante» avec le mot… «mot», lorsque arrivé à Paris depuis l'Argentine, il a commencé à apprendre le français. «Mot» résonne comme une onomatopée, c'est-à-dire qu'il semble imiter un son, celui de la vache qui nous fixe le long du chemin, celui que nous ne prononçons que bouche close. Il est ce qui est dit, et pourtant ressemble à ce qui n'est pas dit. Présage-t-il ironiquement de l'impasse ? Au contraire, par son aspect clos, à la différence de son équivalent espagnol «palabra» ne nous inviterait-il pas à rêver la possibilité d'un signe unique, borné, suffisant à embrasser l'entièreté d'une réalité ?
Ce que l'auteur veut dire, veut «lui» dire, c'est son amour pour elle. A cette présence aussi prégnante qu'insaisissable - «L'amour peut-il finir ? L'amour peut-il commencer ?» «Peut-on "avoir aimé" ?» -, l'écrivain offre le refuge d'un temps et d'un lieu : une nuit du passé, solitaire, dans le musée Picasso. Pas n'importe quel écrin donc… s'il en est qui se referment, protecteurs, sur la pierre qu'ils étreignent, les murs du musée, eux, se font bientôt murmures. Là-bas, l'auteur retrouve hier et maintenant. Les pages écrites en d'autres temps - «Cette noirceur progressive de la Ronde de nuit», les «petits êtres dansants des encres de Michaux», «Nous avons tant perdu», «Vermeer», «tes yeux gris de bleu» - rejoignent celles du présent. Entre les sculptures de Giacometti - dont l'exposition temporaire s'achève - et les œuvres de Picasso, s'ouvre une valse onirique, saccadée et fluide, inquiète et emplie d'espoir, faite de solitude, et peuplée d'ombres qui s'interpellent. Le regard d'une des statues est le même que celui de Néfertiti, dans un autre musée, au Caire. Serait-elle une seule et même femme ? Avec pour compagnon de route l'Expérience intérieure de Georges Bataille, livre de chevet de l'aimée, l'auteur poursuit sa quête de fusion. On ne lui apprendra pas que les mots se jouent de nous. Ainsi, il n'a emporté qu'une chose : Bataille.
Amigorena le rappelle : s’il a écrit sur la peinture, la musique, elle, est en apparence absente de son œuvre. Pourtant, il nous fait entendre un son aux ondulations mystérieuses et singulières qui, entrelaçant art et amour, n’en finit pas de traverser les âges.