Menu
Libération
Critique

«Les Enfants bourreaux», mauvaise graine de haine

L’historien Denis Crouzet détaille la dynamique meurtrière insufflée par l’Eglise catholique aux jeunes envers les protestants et les juifs au Moyen Age.
publié le 29 avril 2020 à 17h06

L'objet de ce livre est «une histoire atroce au cours de laquelle des petits garçons qui ont entre deux (!) et douze ans tuent, torturent, agressent ou éviscèrent des cadavres, les brûlent ou les jettent à la rivière». Ainsi à Toulon, en 1562, un huguenot est traîné, encore vivant, puis lapidé et brûlé par les enfants de la ville. A la même époque, à Avignon, un autre protestant, pourtant emprisonné, est saisi par une bande d'enfants qui lui inflige le supplice de la lapidation avant de le jeter dans le Rhône. Les exemples de ce genre sont nombreux. Denis Crouzet se saisit de cette série de micro-événements pour comprendre les ressorts de cette société catholique «hantée par une immense volonté de violence».

Contrairement à la Réforme calvinienne qui accorde une grande importance à l'éducation et qui, surtout, n'attribue à la jeunesse aucune mission particulière, le monde catholique lui réserve une place particulière. L'infantia, du fait de son innocence, est considérée comme plus proche de Dieu. L'enfance possède une nature christique, ce qui la rend mieux capable d'accomplir la vérité de Dieu. Cette sacralité l'autorise à se saisir d'un pouvoir de juger auquel la société adulte renonce «afin que la justice relève d'un accomplissement sacral». C'est aussi pour les plus âgés une manière de se protéger car tuer l'impur, c'est encourir soi-même d'être contaminé par l'impureté, phobie qui explique l'espace laissé à des enfants protégés, comme par magie, grâce à leur pureté christique.

Cette dynamique meurtrière s'appuie sur un principe essentiel, fortement énoncé par l'auteur : «Il y a obligation absolue de violence parce que Dieu veut la violence.» La mission essentielle des enfants est de rappeler cette obligation, dans certains moments cruciaux, comme lors du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572 ou l'assassinat d'Henri III en 1589, grâce à des saynètes dont l'horreur sert à justifier et libérer la violence que les adultes mobilisent par ailleurs. Les références antérieures existent, la plus évidente étant la lapidation des juifs au Moyen Age où les enfants tenaient une place importante. Or le huguenot, tel le juif responsable de la crucifixion, est aussi coupable de déicide puisqu'il veut exterminer la véritable Eglise, infligeant ainsi au Christ une nouvelle Passion.

Cette violence enfantine est loin d’être une singularité catholique des guerres de Religion, comme le rappelle Denis Crouzet. Il a été montré qu’au Rwanda, la part des enfants - souvent les plus jeunes - dans les violences est notable, constat que l’on peut étendre à beaucoup de situations de guerre civile, des lionceaux du califat en Syrie jusqu’aux enfants tueurs de Medellín en Colombie qui, quotidiennement, prient eux aussi la Vierge pour qu’elle leur donne la force de tuer.