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Libération
Librairie confinée

Christian Thorel : «Ranger sa bibliothèque, c’est une forme d’oxygénation»

publié le 1er mai 2020 à 17h16

Moi qui continue à être libraire même en retraite, j’ai l’impression depuis une vingtaine d’années d’être pris dans un cycle de lectures obligatoires. On est toujours dans un retard de lectures qui s’accumule de plus en plus, premier retard, deuxième retard. On accumule des couches comme des strates de sédiments. On perd la dimension de son espace personnel et je n’arrivais plus à entretenir ma bibliothèque depuis une dizaine d’années. J’avais commencé il y a deux ans à la ranger et j’ai pu terminer pendant le confinement. C’est une forme d’oxygénation.

«Je suis parti de la librairie le 18 mars avec la retraduction de la Septième Croix d'Anna Seghers (Métailié). C'est un livre formidable qui m'a ouvert des pistes sur la suite de mon programme. J'ai choisi ensuite des ouvrages à lire ou à relire, comme la Vie mode d'emploi de Georges Perec. J'ai été ébloui, submergé d'admiration et d'émotions. Il y a quarante ans, Je n'avais pas perçu à ce point-là le degré d'humanité. Ce livre est d'une incroyable finesse et inventivité, avec un profond sentiment tragique de la vie.

«La troisième semaine, j'ai pris la Leçon d'allemand de Siegfried Lenz. La littérature allemande domine dans ma bibliothèque étrangère. Mon édition Laffont étant en lambeaux, j'ai pris à la librairie sa traduction revue en Pavillons poche. Epoustouflante cette fresque historique et esthétique sur la question de la responsabilité, avec une belle exaltation de la dimension maritime d'un territoire. Puis le Monde d'hier de Stefan Zweig, également une leçon d'humanité cette fois dans la grande bourgeoisie viennoise. Et j'ai repris un livre entamé plusieurs fois que je n'arrivais jamais à finir, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry. J'ai compris le propos de Nadeau, qui dit qu'on ne peut que relire ce livre. Arrivé à la fin, je me suis demandé si je n'allais pas rebouter… C'est une littérature d'alcoolisme, avec des échappées poétiques et des anecdotes connexes. Formidable.

«Juste avant le confinement, j'avais lu le manuscrit d'Histoire de la nuit de Laurent Mauvignier (à paraître, Minuit), je viens de commencer l'Ombre d'un père de Christophe Hein (Métailié) et le Camille de Toledo qui sera publié par Verdier à la rentrée. Ainsi, j'ai encadré des maîtres livres avec d'autres maîtres livres contemporains, dont quatre traduits de l'allemand, avec une dimension chroniques du nazisme, testamentaire chez Zweig. Mais chez Lowry, l'action se passe en 1938 en Europe comme un fantôme en décomposition.

Christian Thorel est le fondateur de la librairie Ombres blanches, 50 rue Léon Gambetta, 31000 Toulouse.