Romans
Maïa Kanaan-Macaux Avant qu'elle s'en aille
Auprès d'un père diplomate et d'une mère aventureuse, Maïa Kanaan-Macaux eut une enfance de rêve. A Rome, dans les effluves de glycine et d'orangers, elle pouvait se croire en Egypte, le pays de son père. Il est mort en Chine lors d'une mission. Elle avait 13 ans. Tandis que sa mère de 83 ans perd la mémoire, l'auteure plonge dans ses souvenirs : «Je ne croise pas d'enfants sauvages comme ceux que nous étions, toujours dehors, la tête dans les arbres ou installés sur le muret qui surplombe le Tibre.» Elle et son frère étaient inséparables. Bains sur la plage de Torvaianica, jeux dans les ruines d'Ostie, vacances en Orient au début des années 1980 avant que s'installent «la brutalité, la haine et le repli». A sa façon, le père était un héros : «Ce n'est pas un idéologue, pas un communiste, pas même un socialiste, c'est un humaniste. Un homme qui pense qu'il y a de bons et de mauvais leaders, de bons et de mauvais patrons et que chacun est maître de sa conscience.» V.B.-L.
Frédérique Deghelt Sankhara
Un jour de septembre 2001, Hélène décide de tout plaquer l'espace de dix jours pour faire le point. Elle a l'âge où l'on commence à se retourner sur les années passées, à compter les rêves assouvis et les espoirs déçus. Elle a surtout besoin de savoir où elle en est avec Sébastien qu'elle sent s'éloigner. Comment garder la flamme quand le quotidien est rongé par le boulot et l'éducation de jumeaux de 5 ans ? Pour tenter de trouver des réponses, elle a choisi de s'isoler en lisière d'une forêt pour un stage de méditation où la parole est interdite. Sébastien, lui, ne sait pas où Hélène a disparu, ni pourquoi. Il en est réduit à imaginer le pire : l'a-t-elle quitté ? Pour un autre ? Resté seul avec les enfants, lui qui s'appuyait sur sa femme pour gérer le foyer, ce journaliste de l'AFP en plein doute sur l'évolution de son métier découvre les affres de la charge mentale. Surtout quand, le 11 Septembre, des avions s'encastrent dans les Twin Towers à New York. En dix jours, il va passer de la stupéfaction à la colère puis à l'épuisement tandis qu'Hélène ne cesse de s'alléger. Un joli récit à deux voix sur les malentendus et les difficultés de la vie à deux. A.S.
Jean-Luc Allouche Foutues éoliennes !
On est en Bourgogne, dans une commune oubliée de la France périphérique, entre lotissements, résidents secondaires et agriculteurs. L'ancien maire vient de se suicider en laissant un dernier message : «Tout ça, c'est à cause de leurs foutues éoliennes !» Chacun se regarde avec suspicion, comptant ses amis et ses ennemis, les fayots et les traîtres. C'est qu'une entreprise allemande fait le forcing pour installer un parc éolien dans le coin, y a-t-il un cheval de Troie parmi les villageois ? Comble de l'ironie, c'est au père Thoraval, retiré dans sa maison de retraite ecclésiastique, que l'on demande de célébrer la messe en l'honneur de l'ex-maire. Les deux étaient comme chien et chat, jouant à Don Camillo et Peppone. Jean-Luc Allouche dresse la chronique d'une commune d'aujourd'hui, entre écolos radicaux et grandes gueules climatosceptiques sur fond de législation tatillonne nationale et européenne et d'egos surdimensionnés. A.S.
Marlène Tissot Voix sans issue
Un vrai roman d'amour, est-ce si fréquent ? Elle est coiffeuse, il est gardien de nuit dans un cimetière. Un thérapeute de bonne volonté essaie d'aider la jeune femme à se débarrasser des voix qui la tourmentent. Son père la violait. Le jeune homme tente de diminuer le nombre de bières qui atténuent ses angoisses. Sa mère le battait. Un troisième personnage égaré croit à la passion fusionnelle, ce qui est une erreur. On espère qu'elle ne sera pas fatale. Cl.D.
Sacha Filipenko La Traque
Un rédacteur qui accumule les scoops au sujet d'un dangereux oligarque corrompu rassure sa femme, qui doute : «Combien vous avez eu de journalistes morts ? - Quatre… - Et ces gars n'ont pas raconté les mêmes balivernes à leur femme ? - Seulement trois d'entre eux : la quatrième, si tu te rappelles bien, avait un mari.» Efficace et caustique, le récit d'une sanglante bataille. C'est le deuxième livre traduit d'un romancier et journaliste biélorusse né en 1984. Cl.D.
Nouvelles
Giovanni Orelli Les myrtilles du Moléson
Parler comme une vache suisse, chez Giovanni Orelli, c'est employer des termes choisis, comme «hypocoristique» ou «théodicée». Dans la nouvelle 6 des Myrtilles du Moléson (un mont suisse), titrée «le Veau gras», la narratrice est un veau femelle, «la coqueluche de l'écurie». Trois jeunes bovidés conversent, et cela donne une sorte de parabole biblique. La barbe de Dieu traîne souvent dans ces textes pleins de douceur et d'ironie de l'écrivain tessinois (avec à sa suite le fils prodigue ou Eve et Adam). Ancien enseignant, auteur d'une vingtaine d'ouvrages, Giovanni Orelli (1928-2016) parcourt, dans ce recueil publié alors qu'il était octogénaire, un territoire balisé par les ans. On y retrouve son goût pour l'érudition et les jeux avec le langage. Comme lorsqu'il décide, très oulipien, d'écrire des poèmes avec un nombre de lettres de l'alphabet réduit, par exemple «cinq voyelles et neuf consonnes», celles assimilées par des petits écoliers à la veille de Noël. F.F.
Philosophie
Alain Renaut, Geoffroy Lauvau La conflictualisation du monde au XXIe siècle
Le sous-titre de l'ouvrage précise sa visée : «Une approche philosophique des violences collectives». Alain Renaut (professeur émérite de philosophie politique et d'éthique à la Sorbonne) et Geoffroy Lauvau (professeur de première supérieure au lycée Bellepierre de Saint-Denis de la Réunion), entreprennent l'analyse des forces et des mécanismes qui conduisent aux conflits. Ils le font en rejetant deux «représentations» emblématiques, radicalement opposées : celle qui pose la prédominance, dans l'évolution historique, d'un «vaste processus de pacification» qui résorbe progressivement les antagonismes, tenus dès lors pour des «phénomènes résiduels», et celle qui voit dans le conflit une «condition du pluralisme et de la coexistence sociale et, par extension, mondiale», sans percevoir le «tragique» de ce qui oppose les collectivités humaines, ni «les souffrances engendrées par ces conflits, notamment dans leurs dimensions de violences guerrières, génocidaires ou terroristes». Prenant leurs distances «avec de telles utopies et de pareils schémas», les auteurs commencent par établir un lien entre «le génocide comme forme la plus extrême que peuvent prendre les conflits humains» et d'autres «phénomènes collectifs qui ne s'y réduisent pas» mais qui peuvent être mieux vus sous la loupe du génocide. Et, à partir de là, éclairent la «logique de construction de l'altérité» à l'œuvre dans toute conflictualisation. R.M.
Chantal Delsol Le crépuscule de l'universel
Pendant deux siècles, la notion de progrès a nourri la culture occidentale - d'autant plus que dans sa corbeille il apportait la démocratie avancée, le pluralisme, les libertés individuelles et les droits de l'homme. Mais, écrit Chantal Delsol, chroniqueuse au Figaro, professeur émérite des universités en philosophie, «depuis à peine une vingtaine d'années, la réception du message occidental a changé». Et cela, non seulement «sur tous les continents : en Chine et chez plusieurs de ses voisins, dans une grande partie des pays musulmans, en Russie», mais aussi au cœur de la vieille Europe des Lumières, où l'«individualisme occidental, libéral et mondialiste» est combattu au nom d'un retour à des mono-cultures identitaires, à l'illibéralisme, au conservatisme, au populisme, à des idéologies fondées sur l'exclusion de l'Autre. L'idée d'universalité est mise en question par la revalorisation des «racines», du «territoire», du particulier. «Plusieurs cultures /civilisations très différentes, se rencontrent à présent dans un débat ou un combat culturel contre l'Occident. Leurs exigences sont pré-modernes. Elles récusent l'individualisme, l'émancipation tous azimuts, le pacifisme. Il y a dans ces cultures, aujourd'hui, l'idée que la postmodernité occidentale suscite un monde faux et invivable, dans lequel les individus sont privés de leur enracinement indispensable». Ce sont les causes, les conjonctures, les effets de ce «débat ou combat» qu'analyse ici Chantal Delsol, laquelle regrette que «l'humanisme en tant que tel s'éloigne de nous», pendant que «l'humanitarisme occupe toutes nos pensées et structure toutes nos croyances». R.M.