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Critique

Lemarchand, l’art de tromper l’ennui

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Couvrant les années 1954-1960, le troisième tome du «Journal» de Jacques Lemarchand, fin critique de théâtre et lecteur influent chez Gallimard, raconte le quotidien d’un homme de 50 ans, séducteur invétéré et ami fidèle, de Camus notamment.

Un comité de lecture en 1954 chez Gallimard. De g. à dr.: Robert Gallimard, Raymond Queneau, Albert Camus, Gérard Philipe (de passage ce jour-là), Gaston Gallimard, Jacques Lemarchand (de face dans le fauteuil) et Jean Blanzat. ( Photo Archives Gallimard)
Publié le 10/06/2020 à 17h11, mis à jour le 11/06/2020 à 10h14

Il s'en passe de belles dans les bureaux des éditions Gallimard. Jean Blanzat, rentrant de déjeuner complètement saoul, dort à sa table jusqu'au soir. Devant ses fenêtres, Jacques Lemarchand cultive des haricots, du thym, plante des clématites, élève deux tortues. Quand il veut séduire une visiteuse, il «lui fait le coup de la terrasse». Ces dames s'attendrissent. De jeunes demoiselles, romancières le plus souvent, lui tournent autour. Ce jour-là, c'est Marie-Gisèle Landes-Fuss. «Je lui caresse les fesses et Raymond Gallimard entre à ce moment. Il feint de n'avoir rien vu mais, après son départ, j'engueule - non sans injustice - M.-G.»

Nous sommes en 1958. De Gaulle revient au pouvoir. En juin, Jacques Lemarchand a 50 ans. Novembre, premières élections législatives de la Ve République. Journal de Lemarchand : «Vaguement suivi les résultats des élections mais je m'en fous.»

Pourquoi le journal de Jacques Lemarchand, critique de théâtre et éditeur, ou plutôt «lecteur» chez Gallimard, est-il intéressant alors que l'auteur ne s'intéresse à rien ? Le troisième tome couvre les années 1954-1960. Le monde extérieur n'entre pas dans ces pages, à peine une mention à Massu - «une gueule imbécile» - et à la revue antigaulliste et anti-guerre d'Algérie, 14 Juillet, dont Dionys Mascolo lui apporte le premier numéro. Ah, si, une scène marrante, en juin 1958. C'est la seule du volume. Les communistes manifestent, les fo