C'est l'histoire d'une quête. La quête d'un père longtemps inconnu. Nadia a 18 ans quand sa mère, Cécile, lui révèle pourquoi elle n'a jamais pu se référer à la figure paternelle, pourquoi elle a grandi dans ce silence pesant et cette vie étriquée qui, à Strasbourg, est devenue la leur. Nâzim, son père, était un immigré turc qui n'avait pas fait d'études, il était magasinier et rêvait de changer le monde. «Nâzim, c'était un impatient, parfois la colère le prenait, comme une fièvre, mais ce n'était jamais une fièvre dirigée contre elle, Cécile n'avait jamais eu peur ; c'était une colère contre la méchanceté, contre la guerre et la pauvreté partout dans le monde, et c'est vrai qu'il n'était pas très joli, ce monde-là.» Cécile en avait été passionnément amoureuse. Ils avaient passé une de leurs dernières soirées ensemble avec un groupe d'étudiants, enfants de bonne famille, avec lesquels il fumait des pétards et semblait en phase. Elle s'était sentie exclue et terriblement jalouse d'Anne, la seule fille du groupe, sublimement belle. Peu de temps après cette soirée, Cécile avait découvert qu'elle était enceinte. Mais elle n'avait pas eu le temps de l'annoncer à Nâzim. Une nuit, des hommes en noir «harnachés comme pour la guerre» avaient fait irruption dans son studio et l'avaient embarquée au poste. Suspectée d'être proche de la bande de Nâzim, elle avait fait deux mois de détention préventive pour «complicité de vol en bande organisée avec arme, coups et blessures». Nâzim avait été tué lors d'un braquage qui avait mal tourné, ses camarades étaient en prison, seule Anne était parvenue à fuir. Nadia était née, elle ressemblait trait pour trait à son père et Cécile s'était asséchée dans le souvenir de Nâzim, sacrifiant sa vie de femme à l'éducation de sa fille.
Sous le choc, Nadia renonce à la voie royale à laquelle elle pouvait prétendre, elle qui a gravi tous les échelons de l'éducation supérieure. Elle va s'adonner à la musique, notamment au hang dont les vibrations la transportent et l'apaisent. «Le hang, non seulement comblait son souhait d'universalité, son besoin de dépasser les modes et les frontières, mais lui permettait d'exprimer toutes les facettes de ses émotions, de la plus sombre à la plus joyeuse, et toujours avec une grande intensité.» Et surtout elle va gagner Istanbul à la recherche de la seule personne susceptible de l'aider à retracer la figure de son père. «Elle avait le droit, le besoin absolu de se réapproprier cette moitié d'elle qui lui manquait tant, cet "avant elle". Sans cela, elle n'aurait pas de réponses aux questions qu'elle se posait sans fin.»
C'est un récit plein d'émotions et de pudeur que nous livre Michel Serfati et aussi de très beaux portraits de femmes jusqu'au-boutistes par amour. La filiation est décidément un sujet qui lui est cher car son précédent roman, Finir la guerre (Phébus, 2015), mettait déjà en scène un homme partant à Alger sur les traces de son père et découvrant les traumatismes de la guerre d'Algérie.