Le 2 juin 1968, après avoir participé à la manifestation gaulliste
scellant la révolte de mai, François Mauriac écrit dans son bloc-notes: «J'ai entendu, sans bien le comprendre le temps d'une minute, un petit groupe pousser le cri atroce: "Cohn-Bendit à Dachau!» On pense à ce cri, mardi et mercredi, en regardant, les scènes filmées à La Hague. Trente ans plus tard, des hommes agressent, insultent le même Cohn-Bendit, venu les écouter et dialoguer. Et sous les aboiements du jour, «Ordure!», «Pourri!», «Bandit!», sous ces mains manipulées qui tirent ses cheveux roux, ces mains chauffées à blanc par la démagogie de Chevènement et consorts, c'est la phrase relevée par Mauriac qu'on entend: la même haine de l'étranger, de l'agitateur, de l'autre.
Mais entre-temps, quelque chose a changé: Cohn-Bendit s'est notabilisé. A travers lui, les employés de La Hague agressent aussi un parti (les Verts), un ministre (Voynet) et un chancelier (Schröder). Les télés insistent donc avec un malin plaisir sur ces images où l'on voit les CRS le protéger, lui qu'une photo éternisa, naguère, rigolant sous leurs nez casqués. A cet instant, Cohn-Bendit est bien le bouc émissaire et, mercredi, invité au journal de France 2, il apparaît choqué: soudain, il fixe les fantômes d'une France qu'il espérait peut-être disparue. Il est toujours débraillé, mais il n'est pas décontracté. A l'image, Robert Hue dénonce suavement sa «provocation», lui reproche de relayer, par son opposition au nucléaire, le chanceli