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Libération

Après coup. Le roi long.

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publié le 8 février 1999 à 23h39

Le petit roi (1) faisait de longues phrases. Elles s'étiraient de

subordonnées en subordonnées, s'ourlaient, sinuaient comme certaines rivières tropicales, méandre après méandre, jusqu'au sens, jusqu'à l'idée, qui n'apparaissait en général qu'à la fin. La grammaire étant alors épuisée, l'affirmation pouvait sortir de cette épaisse forêt de mots anglais en bête inquiète et menacée par tous, devant micros et caméras, à la face du monde. Pendant la guerre du Golfe, les journalistes de télévision avaient donc le plus grand mal à prélever, dans les cadences d'Hussein, de quoi nourrir brièvement leurs reportages. La guerre et la télé exigent des phrases courtes, des mots simples, une syntaxe directe, coupée en brosse. Pris entre Bagdad, Israël et les autres, le roi de Jordanie temporisait sans cesse. Ses phrases entre chien et loup illustraient son état, et, somme toute, un caractère modelé par quarante ans d'épreuves, de fourvoiements, de louvoiements forcés: la prudence. Il semblait se servir des mots pour apprivoiser, différer, effacer parfois, une réalité tout en rapports de force: réalité faite de Juifs et de Palestiniens, d'Américains et d'Irakiens, de noir et blanc, qui ne pouvait que lui être hostile, lui dont le pays était d'un teint politique gris pâle. Sa pensée se tapissait entre les mots, comme son royaume entre tant d'Etats contondants, et l'on a parfois pensé, en l'écoutant, à une phrase de Jean Genet, dans le Captif amoureux, sur sa difficulté à mettre en mots le mo